Des déchets radio­ac­tifs sous la Bastille

Des déchets radio­ac­tifs sous la Bastille

REPORTAGE – Les déchets radio­ac­tifs révé­lés par un ancien tra­vailleur sous-trai­tant du nucléaire sur le site de l’an­cien ins­ti­tut de géo­lo­gie de Dolomieu, sur les contre­forts de la Bastille, sont-ils dan­ge­reux ? Pour l’Université Joseph-Fourier, les risques sont minimes. 

Institut Dolomieu déchets radioactifs sous la Bastille à Grenoble

© Véronique Serre – pla​ce​gre​net​.fr

De l’u­ra­nium radio­ac­tif à deux pas du centre-ville ? Adossé aux flancs de la Bastille, l’an­cien ins­ti­tut de géo­lo­gie de Dolomieu conti­nue inexo­ra­ble­ment de se déla­brer. Mais le site n’est pas seule­ment à l’a­ban­don. Il est aussi conta­miné. Et radioactif. 
Sur le che­min qui borde le bâti­ment, où les détri­tus ne laissent guère pla­ner de doutes quant à la fré­quen­ta­tion des lieux, de dis­crètes traces jaunes. De l’u­ra­ni­nite, un miné­ral hau­te­ment radioactif ?
Jusqu’à sa fer­me­ture en 2011, l’ins­ti­tut, de par ses acti­vi­tés d’en­sei­gne­ment et de recherche, a abrité une impo­sante col­lec­tion de pierres et de miné­raux. Et notam­ment de l’u­ra­nium natu­rel avec un taux d’en­ri­chis­se­ment supé­rieur aux valeurs communes.
Pourquoi et com­ment des pous­sières radio­ac­tives ont pu échap­per aux mesures de confi­ne­ment et atter­rir sur la voie publique ?
“Le che­min est conta­miné, l’ins­ti­tut est contaminé”

© Véronique Serre - placegrenet.fr

De l’u­ra­ni­nite, mine­rai hau­te­ment radio­ac­tif ? C’est ce que laissent à pen­ser les traces jau­nâtres trou­vées sur le sen­tier aux abords du bâti­ment © Véronique Serre – pla​ce​gre​net​.fr

« Le che­min est conta­miné à de très fortes valeurs », sou­ligne celui que l’on appel­lera Anthony *. L’homme a tra­vaillé durant l’été 2013 pour le compte de D&S, une entre­prise pri­vée de sous-trai­tance du nucléaire, sur le chan­tier de déman­tè­le­ment et de décon­ta­mi­na­tion de l’é­ta­blis­se­ment de l’Université Joseph-Fourier ainsi que sur celui du Lama (labo­ra­toire d’a­na­lyse de maté­riaux actifs) du CEA de Grenoble, où il a été irra­dié le 23 août dernier. 
Chargé de tra­vaux en mesure nucléaire et en déman­tè­le­ment, Anthony dénonce aujourd’­hui le laxisme qui entoure ces chan­tiers à hauts risques et le manque de compétences.
Pour le jeune homme, la conta­mi­na­tion du site uni­ver­si­taire serait plus impor­tante que ce que les mesures ini­tiales, préa­lables au chan­tier de décon­ta­mi­na­tion, ont révélé en mars 2013. 
L’été der­nier, il avise ses supé­rieurs, ainsi que l’u­ni­ver­sité Joseph-Fourier. Y retourne en sep­tembre puis les 16 et 17 jan­vier 2014 accom­pa­gné, cette fois, de rédac­teurs du jour­nal sati­rique Le Postillon. Et équipé d’ap­pa­reils de mesures. Après sept heures de tra­vail, le constat est, pour eux, sans appel. “On a retrouvé plein d’en­droits conta­mi­nés”. Jusqu’à vingt fois le seuil. 
Poubelle emballée nucléaire Institut Dolomieu déchets radioactifs sous la Bastille à Grenoble

Dans la grotte, des déchets radio­ac­tifs condi­tion­nés. Le Postillon y a mesuré des valeurs entre 200 et 400 microsieverts/heure à l’in­té­rieur. Derrière la porte, fer­mée à clef, les valeurs tombent à 2 microsieverts/heure © Véronique Serre – pla​ce​gre​net​.fr

Des déchets radio­ac­tifs entre­po­sés dans une grotte
Quelques mètres en contre­bas, entre le Musée dau­phi­nois et la rési­dence uni­ver­si­taire du Rabot, il n’est pas dif­fi­cile d’ac­cé­der à une grotte où sont entre­po­sés des déchets et matières radioactifs.
Une porte métal­lique barre l’en­trée mais une meur­trière per­met de jeter un œil à l’in­té­rieur et, plus loin, en se contor­sion­nant un peu, on peut même y pénétrer…
A l’in­té­rieur, des déchets plas­tiques, com­bi­nai­sons, gants, lin­gettes… Mais aussi du liquide conta­miné, des gra­vats et un fût décan­teur. Des déchets certes triés et condi­tion­nés mais sur une zone peu sécu­ri­sée… Et entre­po­sés à côté d’autres caisses de mine­rais, plus anciens. Contaminés eux aussi ? 

déchets nucélaies radioactifs sous la Bastille à Grenoble

© Véronique Serre – pla​ce​gre​net​.fr

« Si je reste près de cette caisse une heure, je prends la valeur limite que fixe la régle­men­ta­tion inter­na­tio­nale. » Selon les mesures effec­tuées par Le Postillon, l’ir­ra­dia­tion y est par endroit “3 000 fois supé­rieure à celle que l’on trouve en temps nor­mal”.
Le rap­port de fin d’in­ter­ven­tion rédigé par D & S est lapi­daire. « Aucune mesure n’a révélé de conta­mi­na­tion fixée qui soit supé­rieure à 0,4 becquerel/cm² **, la mesure maxi­male détec­tée sur toute la sur­face de la pièce étant de 0,18 Becquerel par cm² », conclut le document. 
Faut-il sécu­ri­ser les lieux ?
Pour Anthony, la conta­mi­na­tion ne fait aucun doute. « On est au-des­sus des seuils tolé­rés. Il y a un risque. En tout cas, il faut faire quelque chose. Le che­min est conta­miné, l’ins­ti­tut est conta­miné. On est sur un lieu public où il faut empê­cher l’ac­cès. »
Y a‑t-il véri­ta­ble­ment dan­ger ? Pour Benoît Marc, PDG de D & S, « il n’y a pas de pro­blème de santé publique ». Les valeurs rele­vées sont-elles exa­gé­rées ? au des­sus des seuils ? 
Pour le pré­sident de la CRIIRAD, Roland Desbordes, les mesures réa­li­sées ont été faites cor­rec­te­ment et jus­ti­fient de mettre en place un dis­po­si­tif d’ur­gence pour sécu­ri­ser les lieux.

Alors que Europe Ecologie Les Verts réclame une exper­tise contra­dic­toire ***, le site n’a­vait, hier soir, pas fait l’ob­jet de mesures de sécu­rité complémentaires. 
Sacs plastiques nucléaire déchets radioactifs sous la Bastille à Grenoble

Déchets plas­tiques mais aussi liquides radio­ac­tifs et gra­vats sont entre­po­sés dans la grotte avant leur éva­cua­tion par l’ANDRA © Véronique Serre – pla​ce​gre​net​.fr

Interpellé par Europe Écologie Les Verts de l’Isère ***, le pré­fet n’a­vait hier soir pas réagi à l’en­quête publiée dans Le Postillon. Et, hier après-midi, n’im­porte qui pou­vait encore péné­trer sur les lieux contaminés.
A ses risques et périls ? Contactée, l’Université Joseph-Fourier s’est vou­lue ras­su­rante. Selon elle, les risques sont “minimes”. Et le chan­tier de décon­ta­mi­na­tion suit son cours. « On ne va pas lais­ser les déchets sur les contre­forts de la Bastille ! »
Les déchets entre­po­sés dans la grotte devraient être éva­cués par l’Agence natio­nale de déchets radio­ac­tifs (Andra) dans les pro­chains mois… Quant à la zone radio­ac­tive de 20 cm² (infé­rieure à 18,2 micro­sie­verts par heure) à l’ex­té­rieur du bâti­ment, elle sera décon­ta­mi­née à comp­ter de ce ven­dredi 31 janvier.
Patricia Cerinsek
* L’identité a été modi­fiée afin de pré­ser­ver l’anonymat.
** L’Agence inter­na­tio­nale de l’éner­gie ato­mique (AIEA ) recom­mande de ne pas dépas­ser 0,4 Becquerel/cm² pour les émet­teurs alpha afin de pro­té­ger les per­sonnes et l’en­vi­ron­ne­ment des effets des rayon­ne­ments pen­dant le trans­port (4 Becquerels par cm² pour les émet­teurs beta, gamma et de faible toxicité).
*** Europe Écologie Les Verts a, dans un com­mu­ni­qué, demandé au pré­fet de l’Isère d’en­ga­ger sans délai des exper­tises indé­pen­dantes afin d’é­va­luer l’am­pleur de la radio­ac­ti­vité et de la conta­mi­na­tion du site, ainsi qu’une enquête pour com­prendre les rai­sons et res­pon­sa­bi­li­tés d’un tel sto­ckage dans un lieu si peu sécu­risé. Et de pré­ci­ser : « Dans l’at­tente des résul­tats, par mesure de pré­cau­tion, nous deman­dons aux auto­ri­tés de sécu­ri­ser l’en­semble du site concerné afin d’é­vi­ter tout risque poten­tiel de conta­mi­na­tion des per­sonnes. »

Roland Desbordes Criirad

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L’interview de Roland Desbordes de la Criirad :
CEA : “Des gens ont pu être conta­mi­nés avant”

Patricia Cerinsek

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