DÉCRYPTAGE – Les six skieurs emportés dimanche 27 janvier par une avalanche dans le massif du Queyras portent à 17 le nombre de personnes tuées cet hiver en France. Comme dans près de la moitié des cas, l’accident s’est produit alors que le risque était de trois sur cinq. Un risque souvent minimisé par les adeptes de la randonnée en montagne et, surtout, du hors-piste. Alors, faut-il revoir l’échelle des risques ?
Elle est l’avalanche la plus meurtrière depuis 2011. Dimanche 25 janvier 2015, dans le massif du Queyras, une coulée a emporté six skieurs du Club alpin français (Caf), pourtant considérés comme expérimentés.
Une plaque à vent est vraisemblablement à l’origine de l’avalanche qui porte à 17 le nombre de personnes tuées cet hiver en France. Chaque année, on compte environ une trentaine de victimes.
Et, comme dans près de la moitié des accidents mortels d’avalanches, le risque dimanche était de 3 sur 5.
Entre 2001 et 2011, 45 % des accidents mortels en randonnée (à ski, raquette ou à pied) l’ont été en situation de risque « marqué », selon une étude de l’Association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches (Anena). En hors-piste, le risque 3 concentre à lui seul 46 % des accidents.
A hauts risques, le niveau 3 ? Assurément. Mais, pour le commun des mortels, le risque 3, sur une échelle allant de 1 à 5, c’est un risque moyen. Car médium, tout simplement. Trop simplement.
« C’est une grossière erreur, et souvent relayée par la presse », souligne Dominique Létang, directeur de l’Anena. Si les niveaux 1 et 2 ne présentent que peu de risques, passé le grade 3, mieux vaut savoir où l’on pose ses skis.
Risque 3 : un chiffre très réducteur
« Les risques 3 et 4 sont des risques marqués à forts. Quand il s’agit d’un déclenchement accidentel provoqué par le passage d’un skieur, il faut savoir que le risque maximal est 4 et non 5. Le risque 5, c’est inskiable. »
Risque 3 ne signifie pas pour autant qu’il faut s’enfermer entre ses quatre murs. Juste être encore plus prudent. Beaucoup plus prudent. D’autant que les moyens de connaître l’état du manteau neigeux sont à la portée de tous, grâce aux bulletins d’estimation du risque d’avalanches de Météo France (BRA). Difficile d’invoquer l’ignorance…
Mais on a beau agiter les drapeaux (en France, du drapeau jaune au noir en passant par le damier), faire tourner les gyrophares (comme en Suisse), menacer d’amendes (comme aux USA)… le résultat n’est pas concluant. A croire que la conscience du risque se dilue dans la perspective de tâter la poudre fraîchement tombée.
Que faire ? Faut-il re-coter le risque ? Supprimer cette échelle de 1 à 5 ? La remplacer ? Mais par quoi ? Au Centre d’étude de la neige de Météo France à Grenoble, comme dans les différents services européens de météorologie, on cogite.
« C’est vrai que le chiffre est très réducteur », reconnaît Cécile Coléou, coordinatrice de la prévision du risque d’avalanches à Météo France. « Cette classification européenne a le mérite d’exister mais elle n’est pas suffisante pour se déplacer sur le terrain. »
Neige + vent = risque d’avalanche
Comment communiquer auprès du grand public ? Que communiquer ? Depuis trois ans, Météo France propose des bulletins par massif avec, toujours, cet objectif de pousser le pratiquant à comprendre ce qui se cache derrière un chiffre.
Comprendre et observer. Car la montagne est un livre à ciel ouvert. A charge pour celui qui l’arpente de savoir la décrypter. Les indices d’une surcharge du manteau neigeux, et donc de potentielles avalanches, sont connus. « L’avalanche est la conjonction de deux évènements : neige + vent », rappelle Dominique Létang. « A partir de 30° de pente et de 20 cm de neige, le risque est très aggravé. »
Aucun secteur n’est à l’abri. Encore moins les zones ombragées, où la neige a moins de chance qu’ailleurs de se transformer grâce à l’alternance de périodes de gel et de dégel.
Dans le genre, mieux vaut se méfier du massif de la Chartreuse, où l’on peut avoir vite fait de se rabattre quand les conditions en haute altitude sont peu engageantes. « On a, là, un faux sentiment de sécurité », pointe le directeur de l’Anena. Le col des Ayès, le col de Léchaud comptent leurs victimes. Au sortir des bois, sur une zone dégagée, il n’est pas rare qu’une avalanche fauche un groupe de randonneurs.
Être à l’écoute des signes…
« Dans 90 % des cas, il s’agit d’avalanches de plaques. Et dans près de 90 % des cas, d’avalanches déclenchées par l’homme. » Mieux vaut s’y préparer. En évitant les pentes de plus de 30°, en traversant les secteurs potentiellement dangereux un par un et non à la queue-leu-leu, en se méfiant des pentes convexes – signe d’une rupture de pente favorisant le risque – en observant la neige et en tendant l’oreille.
Le « wouf » caractéristique de la neige qui s’affaisse sous les skis est un indice parmi d’autres, comme, c’est tout bête, les tirs de déclenchement d’avalanches dans les stations alentours… La neige qui part toute seule sous les skis, les vaguelettes dessinées sur la neige aussi, signe du passage du vent. Ou encore les fissures qui zèbrent le manteau neigeux.
Si les randonneurs à ski ont, peu ou prou, appris à bien préparer leur sortie et à bien s’équiper (notamment d’appareils de détection de victimes d’avalanches), tous les pratiquants n’ont pas encore complètement pris le pli. Volontairement ou non s’agissant des amateurs de hors-piste, où côtoyer le danger fait partie du jeu. Inconsciemment s’agissant des raquettistes, nouveaux-venus dans le paysage montagnard.
« Les raquettistes se retrouvent sur le même terrain que les randonneurs à ski mais sans en avoir du tout conscience, appuie Dominique Létang. En raquettes, la pente est moins marquée mais il s’agit souvent de terrains vallonnés soumis à des avalanches de talus. Même sur le plat, on peut déclencher des avalanches ! Il suffit d’une pente au-dessus ! » Phénomène aggravant : les raquettistes sont très peu équipés.
« Dans leur esprit, ils font une balade. Heureusement, neuf fois sur dix, cela se passe bien ! »
Patricia Cerinsek
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LA NEIGE ET LES AVALANCHES
L’Anena dispense des formations sur deux jours ouvertes à tout public, encadrées par des guides de haute montagne, en collaboration avec l’Espace ski de rando (pour 240 euros le week-end).
Pour ceux qui préfèrent rester au fond du canapé, l’Anena a également coproduit, avec le CRDP Canopé de Grenoble, un DVD « Neige et avalanches » : 4 heures de film réalisées par Pascal Fancéa qui répondent à la plupart des questions touchant la neige et les avalanches (30 euros).
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