PORTFOLIO PHOTO – Herboriste à Grenoble depuis 2002, Stéphane Rossi pousse plus loin sa démarche entrepreneuriale avec une marque d” « infusions créatives » : Comme des tisanes. Avec ce nouveau projet, il s’apprête à conquérir les palaces parisiens en leur proposant des créations à la carte et made in Grenoble. Avec une âme de chercheur et un esprit de créateur, Stéphane Rossi se passionne pour les divers aspects de son métier : de l’invention à la législation. Rencontre.
« Si je fais une tisane sur Marie-Antoinette, je joue le jeu jusqu’au bout », explique Stéphane Rossi. Ce jour-là, dans son herboristerie Au temps des fées, rue Thiers à Grenoble, il cherche la formule magique d’une nouvelle tisane à sa carte. Son défi ? Raconter l’histoire de l’archiduchesse d’Autriche à travers une boisson chaude, pour ensuite proposer cette création à un palace parisien dont le salon de thé a pour thème Marie-Antoinette.
« On rajoute la rose, emblème royal, les fleurs de citronnier et le tilleul car les arcades du jardin voisin du “pavillon frais” du château de Versailles étaient ornées de ces plantes. » Après une recherche bibliographique, un processus quasi alchimique commence. Petit garçon, Stéphane Rossi rêvait d’être un magicien mélangeant des ingrédients dans un mortier. Aujourd’hui, il est herboriste à Grenoble et créateur d’une marque de tisanes qui reflète son univers, inspiré de contes et légendes.
Le métier d’herboriste, « un mélange de gustatif et d’imaginaire »
Docteur en pharmacie diplômé en 2002, Stéphane Rossi a d’abord travaillé dans une pharmacie avant d’ouvrir en 2005 son herboristerie : Au temps de fées. « Ici, 90 % de mon activité consiste en conseils pharmaceutiques et non plus en gestion de Sécurité sociale, comme c’est parfois le cas dans une pharmacie. J’ai retrouvé mon métier de pharmacien en herboristerie. »
Aujourd’hui, son rôle consiste à « associer de manière intelligente les vertus et les saveurs des plantes. » Et Stéphane Rossi de préciser : « J’aime mélanger les choses entre elles. C’est de la pâtisserie, un mélange de gustatif et d’imaginaire. »
Comment, après des études en pharmacologie, avec un stage dans un centre anti-poison et une thèse sur les aspects législatifs, pharmacologiques et toxicologiques de « cinq substances psycho-actives de synthèse utilisées dans les espaces festifs techno », s’est-il tourné vers la médecine au naturel ?
Attiré par une « certaine complexité et esthétique du végétal », il voulait conceptualiser ses recherches sur le mélange de plantes. « Ce que j’aime dans cette profession, c’est me creuser la tête pour trouver des choses. C’est la notion de chercher, de fouiller pour découvrir la petite perle ou la créer », explique-t-il.
Quand recherche et création se conjuguent avec entrepreneuriat
En 2005, Stéphane Rossi ouvre Au temps des fées avec un capital de 40 000 euros. L’herboristerie dégage aujourd’hui 300 000 euros de chiffre d’affaires.
Le lancement de sa gamme Comme des tisanes* est un projet encore plus ambitieux. Fruit de trois ans de travail de préparation, il a demandé pour le lancement un investissement de 80 000 euros.
Pourquoi est-il plus coûteux de lancer une marque de tisanes que d’ouvrir une herboristerie ? Pour communiquer sur l’ouverture de sa boutique, Stéphane Rossi a lui-même déposé quelques tracts sur des voitures, alors que « pour le lancement de tisanes, il y a eu toute une stratégie commerciale pour faire connaître la marque ». C’est l’obtention du prix Mercure d’or pour l’innovation commerciale qui lui a permis d’obtenir un prêt à l’innovation soutenu par la Banque publique d’investissement afin de lancer ce nouveau projet.
Pourquoi ce nom complexe Comme des tisanes ? Pour Stéphane Rossi, il fallait que le mot « tisane » soit présent pour qu’on sache immédiatement de quoi il s’agissait. « Et puis, c’est comme des tisanes, mais pas les tisanes qu’on connaît. »
En quoi ses créations sont-elles alors innovantes ? « Actuellement, il existe des tisanes ou des thés parfumés axés sur le goût, mais pas le goût originaire des plantes, explique Stéphane Rossi. D’un autre côté, il existe des tisanes médicinales ». Son idée était donc de créer quelque chose entre les deux. Une création qui n’aurait pas été possible il y a encore dix ans car, jusqu’aux années 2010, seulement une dizaine de plantes était autorisée à la vente en herboristerie. Aujourd’hui, environ 120.
Des sachets conditionnés dans un Esat
« J’adore l’odeur de thé et les jolies boîtes ! », confient des employés chargés du conditionnement de Comme des tisanes. Ce jour-là, cinq personnes épaulées par une monitrice de l’équipe médico-sociale plient des sachets, pèsent les préparations, collent les étiquettes… Des personnes handicapées qui travaillent au sein des Ateliers de l’Agglomération Grenobloise, un Établissement et service d’aide par le travail (Esat) grenoblois fournissant diverses entreprises du secteur agro-alimentaire.
En tout, la préparation des mélanges de plantes à la vente demande au moins dix étapes. L’herboriste a fait appel à cet Esat dans une logique à la fois économique et sociale. En plus du coût de travail plus faible pour lui et du lieu de stockage mis à sa disposition, c’est la dimension de l’insertion sociale des travailleurs qui lui est chère.
Herboriste, un métier trop réglementé ?
Question délicate pour les herboristes : la législation. Pour Stéphane Rossi, cet aspect relève d’une passion personnelle. « Le droit pour moi c’est la base de la société. Je trouve ça extrêmement important et même intéressant ».
Même s’il admet qu’il y a « des lois rébarbatives. » Un exemple concret ? « Quand je fais les tisanes, il y a des restrictions sur la taille de police des caractères sur les boîtes. Afin de protéger le consommateur et de lui permettre de bien voir les informations, même cet aspect-là est codifié. »
Quant aux restrictions sur la vente de certaines plantes en herboristerie et aux accusations d’exercice illégal ? Il y a aujourd’hui, selon Stéphane Rossi, moins de procès d’herboristes, et leurs jugements sont « bien argumentés et incontestables ». Pour lui, le sujet revient souvent « après les jugements et les condamnations d’herboristes légalement jugés comme escrocs, dans un cadre de récidive et mettant sur le marché de la poudre de perlimpinpin. Sans doute les substances inactives pour traiter des maladies comme le sida. »
Malgré tout, les restrictions pour exercer ce métier restent assez fortes, le principal frein législatif étant l’impossibilité pour les herboristes, même docteurs en pharmacie, de s’inscrire à l’ordre des pharmaciens.
« Pour vendre les plantes médicinales, il faut être pharmacien en herboristerie. C’est-à-dire être docteur en pharmacie et être inscrit à l’ordre, explique-t-il. Il me manque une chose : l’inscription à l’ordre. […] Est-il bien légal que je ne puisse pas m’y inscrire ? On m’empêche d’accéder au titre – et donc d’exercer ma profession – sans aucun fondement. Cela pourrait même être anticonstitutionnel. »
Et Stéphane Rossi de trouver « assez frustrant d’être docteur en pharmacie sans être reconnu par le reste de la profession. Et donc sans pouvoir proposer plus de plantes médicinales dans son herboristerie et dans ses tisanes ». Il serait ainsi légitime, selon lui, de s’interroger sur le monopole de l’ordre des pharmaciens et sur des lois et leurs interprétations contradictoires… voire incompréhensibles.
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Yuliya Ruzhechka
* Aujourd’hui, ces tisanes commencent à se diffuser dans d’autres coins de France. A commencer par l’épicerie fine Dando Gourmet, à Hossegor dans les Landes.
Sortir des habitudes culinaires
En plus de sa forme habituelle – une boisson chaude –, la tisane se prête à des expérimentations culinaires : on peut l’infuser avec de l’eau froide ou même de l’eau gazeuse. « On peut se poser la question : est-ce que la tisane doit être liquide ? », développe Stéphane Rossi, en précisant qu’on peut ajouter de l’agar-agar dans l’eau bouillante avec l’infusion afin d’obtenir de la gelée. Et ceci « sans partir en formulations complexes ». « L’idée n’est pas nouvelle et cette méthode est même conseillée à des personnes âgées pendant la canicule. »
Le terrain pour les expérimentations sur la base de tisanes parait inépuisable : « Un pâtissier peut probablement décliner ça en mousse. Il doit aussi y avoir un moyen de faire un sirop à partir de tisane pour le rajouter dans des cocktails. »