FOCUS – Notamment menée par des chercheurs grenoblois de l’Université Grenoble-Alpes, une étude parue en mars 2017 dans Frontiers in psychology établit un lien entre sexisme et jeu vidéo. Coresponsable de l’étude, la doctorante Élisa Sarda présente et défend son travail, réalisé sur un échantillon de plus de 13 500 jeunes de 11 à 19 ans.
Un lien objectif entre pratique du jeu vidéo et sexisme ? Un travail mené, entre autres, par des chercheurs grenoblois semble aller dans ce sens. Parue en mars 2017 dans Frontiers in psychology (et accessible en ligne), l’étude s’appuie sur un échantillon remarquable : ce sont en effet 13 520 collégiens et lycéens de Lyon et Grenoble, âgés 11 à 19 ans, qui ont été consultés.
La méthodologie ? Chaque élève s’est vu remettre un questionnaire lui demandant d’indiquer combien d’heures par jour il a joué à des jeux vidéos durant la semaine. Sa perméabilité au sexisme est ensuite testée à travers cette seule assertion : « Une femme est principalement faite pour faire et élever des enfants »*. Le sujet est invité à donner son opinion sur une échelle de quatre propositions, de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord ».
Un lien qui n’établit pas de causalité
« Les résultats montrent une corrélation positive entre le nombre d’heures passées devant des jeux vidéos et une vision stéréotypée de la femme », décrit Élisa Sarda, doctorante en psychologie à l’Université Grenoble-Alpes et coresponsable de l’étude. « Filles et garçons, les résultats sont les mêmes », ajoute-t-elle.
Alors, le jeu vidéo rendrait sexiste ? « Dans l’étude, on conclut qu’il y a un lien et une corrélation, mais on ne peut pas conclure que le temps passé devant les jeux vidéo cause le sexisme des individus », précise Élisa Sarda. Qui, pour autant, estime que d’autres études menées par ses soins comme par d’autres chercheurs, établissent cette causalité.
« Un appeau à blague et provocation »
Comme souvent avec les études consacrées au jeu vidéo, le travail réalisé par Élisa Sarda et son directeur de thèse Laurent Bègue a largement été repris dans la presse généraliste. Ce qui est loin d’être le cas d’autres publications.
Côté presse spécialisée, l’engouement n’est pas le même. « Je suis très méfiant sur ce genre d’études », nous fait ainsi savoir Ivan Gaudé, rédacteur en chef online et cofondateur du bimensuel et site Internet Canard PC.
« Un simple questionnaire auto-administré à des adolescents c’est déjà très limite, mais avec, en plus, un seul item censé mesurer le sexisme, c’est un véritable appeau à blague et provocation… », juge-t-il.
« On peut soupçonner de nombreux critères socio-économiques d’avoir une grosse influence structurelle, à la fois sur la disposition au sexisme et l’intensité de la pratique des jeux vidéos. Le lien de corrélation est trompeur, car il indique juste une cause extérieure commune, beaucoup plus profonde, liée à l’éducation, au niveau socio-économique, etc. », écrit encore Ivan Gaudé.
L’étude elle-même spécifie souffrir d’un « déficit » d’écoles réputées pour leur excellence, et plus volontiers fréquentées par des élèves issus d’un milieu social aisé ou élevé. À noter que celle-ci interroge aussi les élèves sur leur degré de religiosité. Catholiques et musulmans constituent la majorité des confessions déclarées**, et le lien établi entre religiosité et sexisme apparaît de manière nettement plus prononcée.
Des héroïnes “p…. ou soumises” ?
Ivan Gaudé ne manque pas non plus de faire remarquer que l’étude s’appuie uniquement sur un volume horaire, sans mentionner le moindre titre de jeu. Le travail mené par les chercheurs se base en effet sur des études précédentes, largement mentionnées, établissant un lien entre le média jeu vidéo et le sexisme.
« Nous sommes partis du constat que, dans la majorité des jeux vidéos, les femmes sont représentées de manière sexualisée ou comme des “demoiselles en détresse” qui doivent être sauvées par un homme. Comme, dans la majorité des cas, les femmes sont représentées ainsi, le temps passé devant les jeux vidéo peut être un outil de mesure », explique Élisa Sarda.
Même lorsque les études datent parfois de plus de dix ans concernant un média en évolution constante ?
« J’ai vu une étude de 2015 qui montre une petite évolution dans la représentation de la femme, mais on ne peut pas encore voir de grande révolution significative », juge la chercheuse.
« Lara Croft est moins sexualisée qu’avant »
Si nier la présence du sexisme dans le monde du jeu vidéo serait insane, l’évolution des mentalités semble pourtant réelle. Grand succès de ce début d’année 2017 avec plus de 2,5 millions d’exemplaires vendus de par le monde, Horizon Zero Dawn sur PS4 met en scène une jeune héroïne courageuse et nullement sexualisée, impliquée dans un scénario riche qui produit un fort sentiment d’empathie chez le joueur qui l’incarne.
« J’imagine que le jeu vidéo peut évoluer, admet Élisa Sarda. Si je prends la représentation de Lara Croft, elle a changé, elle est moins sexualisée qu’avant. J’ai l’impression qu’il peut y avoir des changements, mais je n’ai pas trouvé d’autres exemples… » Et la chercheuse de considérer que les jeux Mario ou Zelda perpétuent de leur côté l’image de la princesse que l’homme va sauver. La fameuse Demoiselle en détresse.
Les « aspects positifs du jeu vidéo » ?
Mais Élisa Sarda ne veut certainement pas se positionner en “ennemie” du jeu vidéo. « Je n’aime pas ou ne déteste pas particulièrement les jeux vidéo, je n’ai pas d’avis dessus. Je m’y intéresse parce que c’est un média très utilisé aujourd’hui. Je joue un petit peu, mais je n’ai jamais passé trop de temps dessus. »
Et si la thèse qu’elle est en train de rédiger concerne la dépendance aux activités vidéoludiques ainsi que leur lien avec le sexisme, la chercheuse l’assure : « Il y a des études sur l’impact positif du jeu vidéo, par exemple sur les représentations mentales ou sur l’attention. Je ne me suis pas encore intéressée aux aspects positifs parce que c’est compliqué de se pencher sur tous les aspects, mais ça m’intéresserait de le faire… quand j’aurai un peu plus de temps ! »
Florent Mathieu
* « A woman is made mainly for making and raising children. »
** 27,4 % des élèves se disent catholiques, 25,9 % musulmans, 39,4 % se déclarent sans religion.