REPORTAGE – Les cent cinquante migrants restants sur le camp Valmy ont été expulsés par la police, ce mercredi après-midi. Une évacuation que la préfecture a justifiée par les troubles à l’ordre public liés aux événements de ces derniers jours. Les familles, originaires pour la plupart d’Albanie, de Macédoine, de Serbie et du Kosovo, ont ensuite été emmenées en minibus jusque vers deux gymnases grenoblois où elles seront relogées temporairement. Avant, en principe, d’être hébergées dans des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile dans les semaines à venir.
Les premiers bruits ont commencé à courir mardi, en fin d’après-midi. Puis les rumeurs se sont transformées en information de source sûre, relayée par des chaînes de mails et textos : « Expulsion du camp Valmy imminente, rendez-vous mercredi matin à 6 heures. » Ainsi, une trentaine de militants associatifs, membres de collectifs et »simples » citoyens se sont donné rendez-vous dès l’aube, aux abords du campement de fortune situé derrière le stade des Alpes.
Les traits tirés et les yeux cernés par une courte nuit de sommeil, ces derniers patientent en attendant l’arrivée de la police, prévue entre 6 et 7 heures. Le camp s’est un peu vidé depuis la veille, quelques familles – dont certaines étaient probablement destinataires d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) – ayant préféré quitter les lieux à l’annonce d’une future intervention policière.
Lundi soir, ils étaient encore près de deux cents à dormir sous la tente ou dans des cabanes en bois. Beaucoup de familles avec enfants, essentiellement originaires des Balkans (Albanie, Macédoine, Serbie, Kosovo).
Mais ce mercredi matin, le camp jouit d’un calme presque étrange : les migrants encore présents s’attellent à démonter les tentes, boucler leurs sacs et ranger leurs maigres affaires. L’angoisse liée à l’incertitude des prochaines heures se lit toutefois sur la plupart des visages.
Le temps tourne : 7 heures, 8 heures, 9 heures… Et toujours pas l’ombre d’un képi ni d’un casque de CRS à l’horizon. Chez les militants présents, on s’interroge, on parlemente, on ironise sur « les policiers qui doivent bien rigoler en nous faisant lever à 5 heures du mat” ». Et on commence même à programmer des »tours de garde » couvrant toute la journée. Mais en fin de matinée, l’information arrive sous la forme d’un arrêté préfectoral d’expulsion placardé à l’entrée du camp et effectif à partir de midi.
Le préfet invoque en premier lieu les « graves troubles à l’ordre public » consécutifs aux récents événements.
Il y a eu la rixe nécessitant l’intervention des forces de l’ordre samedi 20 mai, l’agression par des motards sans doute proches de l’extrême droite dans la nuit du samedi 20 au dimanche 21 mai, puis l’incendie criminel causé par le jet d’un cocktail Molotov lundi 22 mai…
Autre argument avancé par la préfecture : « un risque élevé pour la salubrité publique en raison de conditions d’hygiène défaillantes ». Finalement, les premiers effectifs policiers arrivent sur les lieux peu après 14 heures.
Les autorités ont dépêché de gros moyens : on dénombre ainsi vingt et un fourgons au total, pour une centaine de CRS ! Ces derniers déploient immédiatement un cordon autour du camp. Puis, après un bref face-à-face et quelques slogans scandés par les militants, l’évacuation débute sous la houlette des services préfectoraux.
Avec seulement trois ou quatre minibus affrétés pour 156 personnes recensées (102 adultes et 54 enfants), l’opération prend un temps monstre et la désorganisation, illustrée par les atermoiements des policiers, est patente. Familles et enfants doivent ainsi patienter de longs moments sous une chaleur écrasante.
Les pelleteuses à l’œuvre pour raser les derniers vestiges du campement
Pendant ce temps, les pelleteuses commencent leur travail de destruction méthodique des cabanes en bois, derniers vestiges du campement, tandis que les militants s’occupent de récupérer les affaires des migrants disséminées dans le parc Valmy. Une fois remplis, les minibus, contraints d’effectuer plusieurs allers-retours, conduisent les familles dans deux gymnases grenoblois réquisitionnés, Alphonse Daudet et La Houille Blanche, où celles-ci seront hébergées temporairement.
« Il s’agit d’une solution d’urgence, provisoire, car ces lieux ne sont pas adaptés à l’accueil de familles avec enfants au-delà de quelques jours », souligne la Ville de Grenoble. Qui, dans un communiqué, « réitère sa demande auprès de l’État d’assumer ses responsabilités en matière d’hébergement des demandeurs d’asile, avec la mise à disposition de nouveaux lieux pour accueillir ces personnes de façon durable et dans des conditions dignes ».
« Enfin la préfecture se décide à les traiter comme des demandeurs d’asile »
Du côté de l’Assemblée des mal-logés, les échos sont légèrement différents. Alice estime ainsi que le relogement dans les gymnases « devrait durer quelques semaines, le temps que la préfecture dispatche tout le monde dans les Cada [centres d’accueil pour demandeurs d’asile, ndlr]. Enfin elle se décide à les traiter comme des demandeurs d’asile ! », se félicite-t-elle, rappelant que « l’immense majorité des occupants du camp sont dans des procédures de demande d’asile ».
Malgré tout, l’Assemblée des mal-logés comme l’ensemble des collectifs de soutien « restent vigilants, assure Alice. On milite toujours pour que la préfecture use de son droit de réquisition. »
Elle a surtout conscience que la vie des migrants, dans les semaines à venir, sera tout sauf un parcours de santé.
« On sait très bien que c’est dur pour eux. Ces derniers jours, j’ai pas mal discuté avec des femmes dont certaines enceintes sur le campement : l’une d’elles avait par exemple perdu son bébé car ça fait trois mois qu’elle est à la rue. » Alice ne le cache pas : après « avoir tissé des liens très forts », elle se dit « émue » par le départ de ceux qu’elle considère désormais comme des « camarades de lutte ». Elle se rassure néanmoins : « Ces adieux ont été difficiles pour nous tous mais ils ne sont pas non plus partis à l’autre bout du monde ! »
Manuel Pavard