FOCUS – Réagissant à l’article publié le 3 mai dernier sur Place Gre’net au sujet des relations de travail entre notre média et la Ville de Grenoble, Alain Carignon, ancien maire de Grenoble et actuel délégué Les Républicains, réclame la constitution d’une commission d’enquête indépendante.
Réelle préoccupation ou tentative de récupération ? Suite au témoignage de la directrice de publication de Place Gre’net sur le comportement de la Ville de Grenoble à l’égard de notre média, Alain Carignon a saisi la balle au bond.
« Les révélations du journal en ligne Place Gre’Net […] et la décision de la municipalité Piolle de supprimer ses achats d’espaces à ce média tant que celui-ci ne se plierait pas à ses injonctions indignent tous les démocrates. La pression de l’argent pour contraindre à obéir, exercée avec brutalité et cynisme, décrite en détail par le journal, éclaire à nouveau tristement sur les pratiques de la municipalité », écrit ainsi l’ancien maire de Grenoble dans un communiqué.
« Ces méthodes d’un autre temps démontrent que la municipalité abuse de l’argent public au service d’un seul clan et s’attaque aux moyens d’information les plus récents pour tenter de les faire taire définitivement. »
Une commission indépendante « pour mieux répartir la manne publicitaire »
Pour l’ancien maire, « si les grands médias peuvent se mettre à l’abri de ces méthodes, la résistance des plus fragiles est difficile et méritoire. Grenoble doit défendre la liberté et la pluralité de la presse mises à mal par ces procédés nauséabonds. »
Alain Carignon juge ainsi « indispensable » de créer une commission d’enquête indépendante « qui enquêterait sur ces faits d’une extrême gravité pour la liberté de la presse ».
Et réclame, de surcroît, que cette commission soit « chargée de définir des critères objectifs de répartition de la manne publicitaire de plus en plus importante de la ville et de la Métro ».
Une demande envoyée le 4 mai dernier à la quasi totalité des médias locaux… Mais qui n’a, a priori, trouvé aucun écho à ce jour.
Grenoble le changement commente… les commentaires sur Place Gre’net
Sans surprise, le site de la droite “carignonienne” Grenoble le changement n’a pas manqué de reprendre le témoignage paru dans Place Gre’net. Tout comme il avait volontiers relayé l’article peu élogieux que Le Canard enchaîné avait publié sur la question des fermetures de bibliothèques, dans son édition du 29 mars.
Mais ce sont surtout quelques commentaires d’internautes réagissant à l’article de notre directrice de publication qui suscitent l’ire des Républicains tendance Carignon. Quitte à ce que ces derniers spéculent sur leur identité.
« Des inévitables interventions ultra minoritaires des membres du service de communication, des parents et alliés de la municipalité qui jouent aux naïfs dans leur commentaire », estime ainsi l’auteur de l’article. Bien qu’aucun élément en notre possession ne permette d’étayer pareille affirmation.
Le conseiller spécial du maire vilipendé par la droite “carignonienne”
Grenoble le changement cible plus précisément le conseiller du maire de Grenoble, Enzo Lesourt, accusé d’être le “Enzol” ayant publié un commentaire particulièrement agressif à notre endroit. « Enzo Lecourt (sic) utilise la calomnie, cherche la disqualification, conduit des attaques personnelles viles en dessous de la ceinture, dans la grande tradition de l’extrême gauche grenobloise. » Les auteurs du texte vont même jusqu’à exiger d’Éric Piolle des excuses publiques.
Mais, là encore, en fonction des données dont nous disposons, il apparaît comme peu probable que le fameux Enzol soit Enzo Lesourt. Injures insanes, nombreuses fautes, mention de “Robert Londres“ au lieu d’Albert, utilisation d’une adresse mail jetable à l’abandon depuis… Sauf démenti, la similitude entre le pseudonyme de notre commentateur et les nom et prénom d’Enzo Lesourt apparaît bien plus comme l’œuvre d’un “troll”. Ou d’un amateur de billard à douze bandes.
En réalité, aucune réaction officielle ou officieuse d’un responsable de la municipalité de Grenoble n’a été pour le moment diffusée suite à la parution de notre témoignage. À l’exception d’un commentaire du conseiller municipal Alan Confesson, déposé sur le mur Facebook de Jérôme Safar, et supprimé rapidement par son auteur (cf. ci-dessus).
Pas sûr que la proposition de Grenoble le changement entraîne davantage de réactions…
Florent Mathieu
Il y a 28 ans… Alain Carignon et l’affaire de la “razzia sur le Canard”
Les relations entre la presse et Alain Carignon ne sont elles-mêmes pas exemptes d’anicroches. Grenoble le changement ne manque notamment pas de critiquer France Bleu Isère, s’estimant « boycotté » lorsque le média ne se rend pas à l’une de ses conférences de presse.
Dans un passé plus lointain, l’ancien maire de Grenoble fut soupçonné d’avoir voulu faire disparaître des kiosques grenoblois les exemplaires du Canard enchaîné, qui avait sorti un article gênant.
Une anecdote que rapporte Laurent Martin dans son ouvrage Le Canard enchaîné ou les Fortunes de la vertu (Flammarion, 2001, page 485).
« C’est cette étoile montante de la politique [Alain Carignon, ndlr] qu’atteignit de plein fouet, le 1er février 1989, l’article de Jean-François Julliard intitulé “Carignon nouveau recordman de l’ardoise électorale”. Le rédacteur […] révélait le montant très élevé (20 millions de francs, record national) des dépenses engagées par le candidat pour assurer sa réélection, et les contributions d’un certain nombre d’entreprises. »
« Furieux, poursuit Laurent Martin, le maire de Grenoble fit racheter en sous-main, par de pseudo-étudiants et pseudo-enseignants, tous les exemplaires du Canard enchaîné. Trois mille exemplaires échappèrent néanmoins à sa vigilance et, avec l’écho que donna Le Monde à cette “razzia”, alimentèrent la ville en sujets de conversation. Ce qui n’empêcha pas Alain Carignon d’être réélu. »
Des étudiants, des enseignants et une femme blonde à la manœuvre
Dans son ouvrage publié à l’occasion de son centenaire, 100 ans, un siècle d’articles et de dessins (Seuil, 2016, page 392), Le Canard enchaîné revient lui-même sur l’épisode.
Il décrit, lui aussi, des acheteurs en masse d’exemplaire du Canard, se présentant comme des étudiants ou des enseignants. Ainsi qu’une « élégante et mystérieuse femme blonde, en manteau de fourrure noire » dont la R4 était emplie de numéros du journal.
Mais si les circonstances sont pour le moins troublantes, il ne demeure aucune preuve concrète qu’Alain Carignon ait bien été derrière ces achats de masse de l’hebdomadaire satirique. Sans doute une heureuse coïncidence, qui permit ironiquement au Canard de réaliser une vente record dans la Capitale des Alpes. L’article, quant à lui, fut republié dès la semaine suivante.
Les enquêtes du Canard Enchaîné dans les années 90 ont, du reste, précédé la mise en examen d’Alain Carignon qui l’a obligé à démissionner de son poste de ministre de la Communication d’Édouard Balladur. Avant qu’il ne soit finalement condamné en 1996 à quatre ans de prison ferme.