Eric Piolle, lors de son interview pour Place Gre'net, 12 avril 2017. © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'net

Quand la Ville de Grenoble fait pres­sion sur un média… puis le sanctionne

Quand la Ville de Grenoble fait pres­sion sur un média… puis le sanctionne

TÉMOIGNAGE – La presse est-elle libre ? Une ques­tion qui mérite plus que jamais d’être posée en cette jour­née mon­diale de la liberté de la presse. Qui plus est dans cette période élec­to­rale où des jour­na­listes sont tout à la fois mal­me­nés et décon­si­dé­rés. Si les condi­tions de tra­vail des médias sont catas­tro­phiques dans un cer­tain nombre de pays, elles sont loin d’être idéales en France. Et au niveau local ? Pas mieux…

LIBERTÉ DE LA PRESSE : LA FRANCE, 39e AU CLASSEMENT 2017… PEUT MIEUX FAIRE

Journalistes empri­son­nés, tor­tu­rés, voire assas­si­nés… Au Vietnam, en Érythrée, au Turkménistan, en Syrie, en Chine… Dans bon nombre de pays, infor­mer peut se payer très cher. Sans par­ler de la Corée du Nord, « où le simple fait d’écouter une radio basée à l’étranger peut valoir un séjour en camp de concen­tra­tion », rap­pelle le clas­se­ment annuel de Reporters sans fron­tières. Loin de s’améliorer, la situa­tion de la presse a empiré en 2016 dans les deux tiers des 180 pays réper­to­riés dans le rap­port. Et les vio­la­tions à la liberté d’in­for­mer ne concernent pas uni­que­ment les régimes auto­ri­taires et les dic­ta­tures. Elles frappent aussi les démo­cra­ties, y com­pris en Europe.

Classement mondial de la liberté de la presse 2017 © Reporters sans frontières

Classement mon­dial de la liberté de la presse 2017. Cliquez sur la carte pour accé­der aux don­nées. © Reporters sans frontières

Pour faire taire les jour­naux indé­pen­dants, le gou­ver­ne­ment polo­nais a ainsi opté pour l’as­phyxie éco­no­mique. « Après avoir trans­formé l’audiovisuel public en outil de pro­pa­gande, le gou­ver­ne­ment s’est atta­ché à étran­gler finan­ciè­re­ment plu­sieurs titres de presse indé­pen­dants oppo­sés à ses réformes (Gazeta Wyborcza, Polityka ou encore l’édition polo­naise de Newsweek) en impo­sant aux admi­nis­tra­tions de sup­pri­mer leurs abon­ne­ments à ces jour­naux », pré­cise ainsi le rap­port.

Et la France ? L’Hexagone se classe 39e, loin der­rière les pays d’Europe du Nord et la plu­part de ses voi­sins. « Si la presse est glo­ba­le­ment libre et plu­tôt bien pro­té­gée par la loi, le pay­sage média­tique fran­çais est lar­ge­ment consti­tué de groupes dont les pro­prié­taires ont d’autres inté­rêts que leur atta­che­ment au jour­na­lisme. Cette situa­tion entraîne des conflits qui font peser une menace sur l’in­dé­pen­dance édi­to­riale, et même sur la situa­tion éco­no­mique des médias », est-il pré­cisé dans le clas­se­ment. […] D’autre part, pen­dant la cam­pagne pré­si­den­tielle, les poli­tiques et la popu­la­tion ont affi­ché une hos­ti­lité gran­dis­sante à l’égard des jour­na­listes. » En témoignent les jour­na­listes sif­flés lors du mee­ting de François Fillon à Nice.

Le 27 avril der­nier, 34 socié­tés de jour­na­listes ont même signé une tri­bune contre l’en­trave à la liberté d’in­for­mer du Front natio­nal : dépla­ce­ment de Marine Le Pen non com­mu­ni­qué, accré­di­ta­tion refu­sée… « À l’oc­ca­sion de la cam­pagne pour le second tour de l’é­lec­tion pré­si­den­tielle, le Front natio­nal a décidé de choi­sir les médias qui sont auto­ri­sés à suivre Marine Le Pen. Plusieurs titres de presse ont ainsi vu leur repré­sen­tant tenu à l’é­cart de toute infor­ma­tion et de toute pos­si­bi­lité de suivi sur le ter­rain de la can­di­date du Front natio­nal », indique le texte. « Ainsi, après Mediapart et Quotidien (et avant lui son pré­dé­ces­seur Le Petit Journal), l’Agence France-Presse, Radio France, RFI, France 24, Le Monde, Libération et Marianne, notam­ment, ont été à un moment ou à un autre vic­times de ces exclusives. […] »

Déplacement non com­mu­ni­qué, refus d’in­ter­views, absence de réponses aux sol­li­ci­ta­tions, jour­na­listes déli­bé­ré­ment exclus de visites presse, pres­sions exer­cées avant ou après la publi­ca­tion d’ar­ticles sur des sujets sen­sibles… Vous pen­sez que ces pra­tiques sont l’apanage du FN ? Eh bien non ! Au risque de vous sur­prendre, elles ont éga­le­ment cours à Grenoble, où la ville est diri­gée par une coa­li­tion Europe-Ecologie-les-Verts et Parti de gauche. Retour en quatre actes sur une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion mécon­nue mais assu­mée au plus haut niveau – comme nous venons tout juste d’en avoir la confir­ma­tion – et qu’il nous a paru néces­saire de por­ter à votre connaissance.

Acte 1 : Le ver­rouillage de l’information

L’accès à l’in­for­ma­tion n’a jamais été simple depuis l’ar­ri­vée de la nou­velle équipe muni­ci­pale à Grenoble en 2014 (six mois seule­ment après le lan­ce­ment offi­ciel de Place Gre’net). C’est notre métier d’al­ler la cher­cher, allez-vous nous dire. Bien sûr ! C’est ce que nous fai­sons tous les jours. Cela se passe d’ailleurs glo­ba­le­ment bien avec les autres col­lec­ti­vi­tés, y com­pris lorsque nous publions des articles cri­tiques ou trai­tons des thèmes jugés sen­sibles. Les jour­na­listes les contactent via les ser­vices presse qui leur répondent dans des délais rai­son­nables et fixent des ren­dez-vous avec les per­sonnes sol­li­ci­tées. C’est tout simple, en fait.

Mairie de Grenoble

Hôtel de ville de Grenoble. © Nils Louna – pla​ce​gre​net​.fr

Avec la Ville de Grenoble, c’est plus com­pli­qué… Petit retour en arrière. Dès novembre 2014, alors que nous avions appris que la muni­ci­pa­lité comp­tait ban­nir l’affichage publi­ci­taire dans l’espace urbain et ne pas recon­duire son contrat avec JCDecaux, nous avions sol­li­cité en vain l’in­ter­view de l’é­lue concer­née, Lucille Lheureux. Le conseiller spé­cial du maire, Enzo Lesourt, nous avait alors demandé d’at­tendre la fin du mois, nous assu­rant que la Ville pré­sen­te­rait sa mesure à toute la presse locale lors d’une confé­rence com­mune. Nous avons donc sage­ment attendu…

Très mau­vaise idée ! Tout le dos­sier est sorti le 22 novembre 2014, un dimanche, dans le Dauphiné libéré et le JDD. « Nous avons fait le choix du Dauphiné libéré pour l’ex­clu­si­vité locale et du JDD pour l’ex­clu­si­vité natio­nale », nous a‑t-il sim­ple­ment répondu, pas gêné. Les deux jour­naux avaient été contac­tés pour l’oc­ca­sion avec inter­views calées à la clé. Une affaire qui roule ! C’est bien connu, les pro­messes n’en­gagent que ceux qui y croient.

“Si nous atten­dions à chaque fois le retour du ser­vice com­mu­ni­ca­tion pour publier,

beau­coup d’ar­ticles ne sor­ti­raient tout sim­ple­ment jamais.”

Pourquoi reve­nir sur cette vieille anec­dote ? Parce qu’elle est emblé­ma­tique de pra­tiques deve­nues mon­naie cou­rante à Grenoble. Les élus sont bien sûr libres de répondre ou pas aux sol­li­ci­ta­tions de la presse. Mais, d’une manière géné­rale, les jour­na­listes de Place Gre’net qui passent par le ser­vice presse ren­contrent la plu­part du temps des dif­fi­cul­tés pour accé­der à l’in­for­ma­tion. Technique la plus cou­ram­ment uti­li­sée ? Le pour­ris­se­ment. Si nous atten­dions à chaque fois un retour pour publier nos articles, beau­coup d’entre eux ne sor­ti­raient tout sim­ple­ment jamais. Ce qui est sans doute le but recher­ché et n’est évi­dem­ment pas concevable.

Et pour cause : le ser­vice presse, censé faci­li­ter le tra­vail des jour­na­listes, est en lien direct avec le cabi­net du maire… à qui il rend direc­te­ment compte et qui décide de tout. Du coup, les jours passent, voire les semaines, quand ce ne sont pas les mois. Et nos demandes d’in­for­ma­tions ou d’in­ter­views sont clas­sées sans suite dès qu’elles touchent à des sujets sen­sibles. Ce que l’on nous pro­pose à la place ? Une mul­ti­tude de confé­rences de presse, durant les­quelles les élus déroulent leur com­mu­ni­ca­tion. Le tout sous l’œil atten­tif du conseiller spé­cial du maire quand il s’a­git des ren­dez-vous les plus stratégiques.

Présentation de la première édition de la Biennale "Villes en transition" à Grenoble. © Séverine Cattiaux – placegrenet.fr

Présentation de la pre­mière édi­tion de la Biennale « Villes en tran­si­tion » à Grenoble. Concernant le bud­get ? Il était trop tôt pour com­mu­ni­quer. © Séverine Cattiaux – pla​ce​gre​net​.fr

Les expli­ca­tions qui sont don­nées par le cabi­net à l’ab­sence de réponses à nos sol­li­ci­ta­tions ? « C’était pas notre rythme. C’était pas le timing. » Entendez : la Ville n’a pas prévu de com­mu­ni­quer à ce moment-là. « Parfois, on n’a pas envie de répondre et on ne le dit pas car on répond plus tard. » Ce fut par exemple le cas pour le bud­get de la Biennale. La Ville devait répondre aux ques­tions « plus tard ». Nous atten­dons encore… Ce n’est presque jamais le moment, en défi­ni­tive. « Je ne pars pas du prin­cipe qu’il y a conver­gence a priori. Chacun a son calen­drier, ses cri­tères. Parfois, ça pourra mat­cher [cor­res­pondre, ndlr] », nous a d’ailleurs expli­qué le conseiller spé­cial du maire suite à des demandes d’éclaircissements.

“Lorsqu’il y a débat, les jour­na­listes doivent pou­voir don­ner la parole aux deux parties,

afin que le lec­teur puisse lui-même se faire son avis au fil des publications”

Autre argu­ment mis en avant par le cabi­net : Place Gre’net sol­li­ci­te­rait trop les élus, qui n’au­raient pas le temps de nous répondre. Tiens ! C’est curieux. Nous n’a­vons pas cette impres­sion en lisant la presse. Du reste, quelques minutes au télé­phone peuvent faci­le­ment s’in­sé­rer dans un agenda d’élu dont le tra­vail est aussi de rendre compte de son action.

Mais sur­tout, il ne fau­drait pas oublier que, lors­qu’il y a débat, les jour­na­listes doivent pou­voir don­ner la parole aux deux par­ties, afin que le lec­teur puisse lui-même se faire son avis au fil des publi­ca­tions. Aussi, quand des oppo­sants poli­tiques ou de simples citoyens émettent des cri­tiques à l’en­contre d’un pro­jet muni­ci­pal, il est juste de don­ner la parole aux “accu­sés” pour qu’ils puissent à leur tour pré­sen­ter leurs argu­ments. Logique, non ?

Pas pour la Ville. En fait, notre méthode revient à « relayer des paroles qui ne sont pas au même niveau » a récem­ment affirmé un membre du cabi­net du maire. « Nous ne vou­lons pas réagir à Tartempion. Une ins­ti­tu­tion informe et débat mais n’alimente pas du buzz. […] Tous les points de vue ne se valent pas. Sinon, c’est l’ap­proche du Front natio­nal. » Un point de vue déjà avancé par un autre membre du cabi­net, et donc par­fai­te­ment assumé.

La Ville n’en­tend ainsi pas répondre aux “attaques”. Tant pis si Tartempion – col­lec­tifs de citoyens, asso­cia­tions, oppo­sants poli­tiques… – se pose des ques­tions et attend légi­ti­me­ment des réponses sur l’u­ti­li­sa­tion des deniers publics, le bien-fondé ou l’ef­fi­cience des mesures mises en places.

Acte 2 : les accu­sa­tions de trai­te­ment déséquilibré

Et quand, der­rière Tartempion, se cache Pascal Clérotte, porte-parole du Gam et bête noire de la muni­ci­pa­lité dont il com­mente toutes les déci­sions, la Ville voit encore plus rouge. Une jour­na­liste de Place Gre’net serait même « mani­pu­lée » par cet homme. Sous emprise peut-être ? La pauvre femme – une jour­na­liste de plus de vingt ans d’ex­pé­rience – man­que­rait de dis­cer­ne­ment et repren­drait sans recul tous ses argu­ments, notam­ment dans des articles consa­crés au pro­jet de pié­ton­ni­sa­tion Cœurs de ville, cœurs de métro­pole (CVCM). A moins qu’elle ne soit mariée à un com­mer­çant opposé à CVCM, comme on nous l’a demandé avec le plus grand sérieux. Mieux vaut en rire !

La vérité est plus simple : Pascal Clérotte n’est qu’une source – certes très bavarde sur les réseaux sociaux et cli­vante… – parmi d’autres. Rien de plus. En atten­dant, la jour­na­liste en ques­tion est bla­ck­lis­tée par la Ville. Et la garde rap­pro­chée du maire semble vou­loir ins­til­ler peu à peu l’i­dée que Place Gre’net aurait « une ligne » et devien­drait un « jour­nal d’o­pi­nion » qui ser­vi­rait des inté­rêts hos­tiles à la Ville.

Il ne faut pas tendre le micro à n’im­porte qui !,

s’est vu inter­pel­ler un jour­na­liste qui venait d’in­ter­ro­ger Alain Carignon”

Ainsi, après avoir fait clai­re­ment le choix de ne pas prendre la parole suite aux sol­li­ci­ta­tions, la Ville se plaint désor­mais du fait que l’op­po­si­tion la prend trop ou que cer­tains articles seraient « à charge »… Sans comp­ter les pro­cès récur­rents en “déon­to­lo­gie” : « Il ne faut pas tendre le micro à n’im­porte qui ! », s’est ainsi vu inter­pel­ler un jour­na­liste qui venait d’in­ter­ro­ger Alain Carignon, ancien maire de Grenoble condamné pour cor­rup­tion, mais tou­jours actif dans la vie poli­tique grenobloise.

PlanDeSauvegardeElisaMartinCreditSeverineCattiaux

Élisa Martin lors de la pré­sen­ta­tion du « plan de sau­ve­garde ». © Séverine Cattiaux

Dans la même veine, cer­taines infor­ma­tions ne seraient pas bonnes à publier. Comme, lors­qu’à l’au­tomne der­nier, nous avons cité Le Postillon qui rela­taient des extraits issus d’un échange privé d’Élisa Martin en date du 29 juin der­nier. La pre­mière adjointe de la Ville de Grenoble y écri­vait : « J’ai validé le plan de sau­ve­garde sans faire gaffe. Quelle conne ! Une infor­ma­tion, d’im­por­tance, relayée sur Place Gre’net, dans la nuit du dimanche au lundi 26 sep­tembre 2016, alors qu’elle avait déjà été lar­ge­ment reprise sur les réseaux sociaux.

Sollicitée dans la fou­lée, Élisa Martin a refusé de s’ex­pri­mer, sous pré­texte que Place Gre’net aurait relayé « une infor­ma­tion qui est fausse ». « J’assume par­fai­te­ment le fait de ne plus répondre à vos inter­views, ce qui est mon droit le plus strict, a‑t-elle pré­cisé. […] Pour ce qui nous concerne, nous ne fai­sons pas de poli­tique dans les cani­veaux, cela ne rentre pas dans notre « plan de com ». » Voilà qui est clair. En atten­dant, Élisa Martin n’a jamais démenti offi­ciel­le­ment cette infor­ma­tion et n’a pas atta­qué Le Postillon pour diffamation…

Acte 3 : Les pres­sions en tout genre

En dehors de la pre­mière adjointe, les élus – avec qui, soit dit en pas­sant, Place Gre’net entre­tient de bonnes rela­tions – ont tou­jours accepté de répondre aux ques­tions des jour­na­listes qui les inter­pel­laient direc­te­ment sur le ter­rain ou sur leur télé­phone por­table. Des pra­tiques, somme toute banales, mais qui ont déplu, car hors de contrôle de la com­mu­ni­ca­tion. Plusieurs jour­na­listes se sont ainsi fait taper sur les doigts après coup par le conseiller spé­cial du maire ou le ser­vice presse de la Ville. Ils devaient ces­ser de contac­ter les élus en direct et pas­ser par eux « pour que ça aille plus vite ». No com­ment

Eric Piolle, lors de son interview pour Place Gre'net, 12 avril 2017. © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'net

Interview d’Eric Piolle en pré­sence de son conseiller spé­cial, Enzo Lesourt, 12 avril 2017. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net

Place Gre’net serait-il le seul jour­nal, avec Le Postillon, à faire grin­cer des dents la majo­rité ? Visiblement non. Le Canard enchaîné a ainsi publié un article très cri­tique le 29 mars 2017, inti­tulé « Des livres ron­gés par les Verts”. Sans doute le pre­mier article paru dans la presse natio­nale repre­nant en sub­stance les argu­ments des oppo­sants à la fer­me­ture ou à la trans­for­ma­tion de biblio­thèques. Un élec­tro­choc pour l’é­quipe muni­ci­pale. Très atta­chée, pour le coup, à ce jour­nal, celle-ci s’est ainsi fen­due d’une longue lettre ouverte. Visiblement, la pilule a eu du mal à passer…

“Voulait-on vrai­ment « ali­men­ter la facho­sphère », « faire du clic », « du buzz » ?

Non, juste faire notre métier : informer”

Quand les jour­na­listes s’in­té­ressent de trop près à des sujets sur les­quels la Ville n’a pas envie de com­mu­ni­quer ou pas à ce moment-là, celle-ci n’hé­site pas à faire pres­sion. Par exemple en leur pas­sant des appels furieux sur leur por­tables pour les ser­mon­ner. Là encore, le pro­blème n’est pas nou­veau, puisque ce fut déjà le cas suite à la publi­ca­tion de l’ar­ticle Propreté urbaine : Grenoble va pas­ser à la ver­ba­li­sa­tion, paru le 30 sep­tembre 2015. Un sujet visi­ble­ment très sensible…

Comme à l’ac­cou­tumé, les élus et res­pon­sables de ser­vices concer­nés à la ville de Grenoble n’avaient pas reçu l’au­to­ri­sa­tion de s’exprimer. Mais des délé­gués syn­di­caux ter­ri­to­riaux s’é­taient mon­trés plus pro­lixes avec notre jour­na­liste. Un crime de lèse-majesté, semble-t-il. On n’a­vait pas été « réglo » de trai­ter le sujet quand même. Et plus grave : « les deux syn­di­ca­listes inter­ro­gés n’a­vaient pas le droit de s’ex­pri­mer sur le sujet. » Peut-être ont-ils été punis ?

La place de l’école élémentaire Anthoard à Grenoble. © Florent Mathieu – Place Gre’net

La place de l’école élé­men­taire Anthoard à Grenoble. © Florent Mathieu – Place Gre’net

Pressions encore quand Place Gre’net a su que des élèves de l’école élé­men­taire Anthoard de Grenoble avaient chanté la chan­son reli­gieuse Bismillah dans le cadre d’une acti­vité péri­sco­laire. Un déra­page du plus mau­vais effet dans une école publique qui ne devait pas être porté à la connais­sance du public mais « réglé en interne »… L’occasion d’un appel d’Enzo Lesourt au jour­na­liste chargé de l’ar­ticle mais aussi à moi-même, en tant que rédac­trice en chef, pour nous dis­sua­der de publier un article sur le sujet, notam­ment en jouant sur la culpabilisation.

Que comp­tait-on écrire ? Une ques­tion pas banale déjà posée par l’in­té­ressé à des jour­na­listes à d’autres occa­sions. Voulait-on vrai­ment « ali­men­ter la facho­sphère », « faire du clic », « du buzz » ? Non, juste faire notre métier : infor­mer. C’est-à-dire ne pas mettre sous le tapis une infor­ma­tion dont nous avions eu connais­sance sous pré­texte qu’elle pour­rait être récu­pé­rée par cer­tains et en des­ser­vir d’autres.

Acte 4 : Les mesures de rétor­sion, éco­no­miques et autres

Fait trou­blant mais pas si éton­nant, les com­mandes d’en­carts de com­mu­ni­ca­tion à Place Gre’net par la Ville se sont subi­te­ment arrê­tés en novembre 2016, alors que la Ville conti­nuait de lar­ge­ment com­mu­ni­quer dans le reste de la presse. Une mesure de rétor­sion éco­no­mique suite à des articles ayant déplu, comme un membre du cabi­net l’a clai­re­ment exprimé à un jour­na­liste de Place Gre’net – qu’il avait demandé à ren­con­trer pour lui en faire part expres­sé­ment – puis à moi-même.

En cause – comme nous l’a­vons su par la suite –, des articles qui por­taient notam­ment sur les biblio­thé­caires en lutte, l’af­faire Bismillah, CVCM, Ebikelabs, la Biennale de l’ha­bi­tat durable, ou bien encore la Grande marche récla­mant la réqui­si­tion des loge­ments vacants à Grenoble. Sans doute une ten­ta­tive pour nous faire ren­trer dans le rang. Voire nous faire taire définitivement…

“L’arrêt de com­mande depuis novembre se solde par un manque à gagner non négligeable

pour notre jeune média, même si nous avons dès le départ diver­si­fié les sources de revenus”

Place Gre’net, qui n’é­tait déjà sou­vent pas inté­gré dans les plans de com­mu­ni­ca­tion de la Ville, en serait ainsi désor­mais défi­ni­ti­ve­ment exclu. Bien loin de l”« équité de trai­te­ment à l’é­gard des médias locaux », spon­ta­né­ment annoncé en sep­tembre 2014 par Erwan Lecoeur, le direc­teur de la com­mu­ni­ca­tion de la Ville. Cet arrêt de toute com­mande, depuis novembre, se solde par un manque à gagner non négli­geable pour notre jeune média, même si nous avons dès le départ diver­si­fié les sources de reve­nus, qu’il s’a­gisse d’autres annon­ceurs ou des abonnements.

Le second évé­ne­ment trou­blant a concerné l’as­pect rédac­tion­nel, Place Gre’net ayant été déli­bé­ré­ment exclu d’une visite presse – à laquelle ont été conviés plu­sieurs médias – de la Tour Perret, monu­ment que la Ville a décidé de res­tau­rer après des mois de débats. Ce tou­jours dans une logique de “sanc­tion” selon un membre de la garde rap­pro­chée du maire. Et cela même alors qu’un jour­na­liste de Place Gre’net avait clai­re­ment fait part au préa­lable de son inten­tion de la visiter.

« C’est n’im­porte quoi ! » a tou­te­fois démenti un autre membre du cabi­net. Quelle était donc l’ex­pli­ca­tion de cette exclu­sion ? La tour Perret, fra­gile, n’au­rait pas pu accueillir beau­coup de per­sonnes, nous a‑t-on fina­le­ment répondu… La tour – visi­ble­ment bien plus dégra­dée qu’il n’y paraît – n’au­rait pas sup­porté le poids de notre jour­na­liste et de sa caméra !

Épilogue : faute de tête-à-tête avec le maire, une inter­view enca­drée… et écourtée

Voilà des mois qu’une jour­na­liste de Place Gre’net sol­li­ci­tait une inter­view du maire, en vain. Et pour cause : celle-ci était “bla­ck­lis­tée” et ses demandes sys­té­ma­ti­que­ment écar­tées par la garde rap­pro­chée du maire.

Eric Piolle, lors de son interview pour Place Gre'net, 12 avril 2017. © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'net

Eric Piolle, lors de son inter­view pour Place Gre’net, 12 avril 2017. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net

Cette inter­view m’a fina­le­ment été pro­po­sée alors que je sol­li­ci­tais pour ma part un entre­tien en tête-à-tête – enten­dez sans com­mu­ni­cants – avec Eric Piolle, pour savoir s’il cau­tion­nait les mesures de rétor­sion vis-à-vis de Place Gre’net. Une réponse jamais obte­nue mal­gré des demandes d’é­clair­cis­se­ment for­mu­lées par mail début mars au maire lui-même et à son cabi­net. Verdict ?

Oui, Eric Piolle assume plei­ne­ment l’ar­rêt des com­mandes d’en­carts publi­ci­taires à Place Gre’net. Une déci­sion prise en concer­ta­tion avec ses proches col­la­bo­ra­teurs à ce sujet. « On a effec­ti­ve­ment eu des débats sur la façon dont cer­tains articles ont été posi­tion­nés […] Un débat sur la qua­lité de cer­tains articles qui pose ques­tion, sur le tra­vail qui est fait… », a‑t-il fini par recon­naître. « C’est une ques­tion de cadre de tra­vail, a tenté de jus­ti­fier son conseiller spé­cial, pré­sent tout au long de l’en­tre­tien. […] On vous a dit plu­sieurs fois qu’il y avait des pro­to­coles de tra­vail à res­pec­ter si vous vou­lez bos­ser avec nous. » Dont acte.

“Une inter­view menée au pas de course. Et qui s’est ter­mi­née sous la menace à peine voi­lée de divul­guer des échanges par mail”

Autre point que nous sou­hai­tions éclair­cir, le récent voyage en Israël du maire et de sa délé­ga­tion qui nous a été volon­tai­re­ment caché, ainsi d’ailleurs qu’à la quasi-tota­lité des jour­na­listes locaux jus­qu’à la veille du départ… et ce mal­gré des ques­tions posées bien en amont au cabi­net du maire concer­nant le trou dans son agenda cette semaine-là.

Interrogé à ce sujet, Eric Piolle a répondu que nous n’avions pas à savoir à l’a­vance s’il allait s’ab­sen­ter de la ville ou s’il était en vacances. Soit. Reste qu’une jour­na­liste locale a fait par­tie du voyage et a donc de facto été mise au cou­rant bien avant… Un “deux poids deux mesures” que le maire assume, tout comme la prise en charge des frais de voyage de ladite jour­na­liste. « C’est ce qui se fait, oui… »

L’interview était calée de longue date et devait durer une heure, ce qui avait été recon­firmé en début d’in­ter­view. Mais à peine qua­rante minutes plus tard, au moment jus­te­ment où il était ques­tion de ce voyage, le conseiller spé­cial du maire et une membre de son cabi­net sont inter­ve­nus pour y mettre un terme… pré­ci­pi­tam­ment. Le maire était très en retard ! Vite, vite, il fal­lait partir !

Eric Piolle, lors de son interview pour Place Gre'net, 12 avril 2017. © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'net

Eric Piolle sur le départ avant la fin pré­vue de l’in­ter­view… tou­jours en pré­sence de son conseiller, 12 avril 2017. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net

L’interview menée au pas de course s’est ainsi ter­mi­née en queue de pois­son… Sans comp­ter, après le départ du maire, des menaces à peine voi­lées de divul­guer des échanges par mail où j’au­rais dit que « Place Gre’net avait besoin des pubs de la Ville ». Une asser­tion tota­le­ment fausse puis­qu’à aucun moment je n’ai dit, écrit ou sous-entendu cela, mais ai sim­ple­ment demandé des expli­ca­tions sur cet arrêt sou­dain des commandes…

“Une chose est sûre : nous conti­nue­rons à faire notre métier, comme nous l’avons tou­jours fait,

hon­nê­te­ment, sans volonté de nuire ni de favo­ri­ser quiconque”

Il s’a­git peut-être là de la der­nière inter­view calée offi­ciel­le­ment par la Ville car nous avons appris le 27 avril der­nier qu’un entre­tien pro­mis de longue date à un jour­na­liste de Place Gre’net par la Première adjointe Élisa Martin elle-même, après des mois de silence, n’au­rait fina­le­ment pas lieu…

Une chose est sûre : nous conti­nue­rons à faire notre métier, comme nous l’a­vons tou­jours fait, hon­nê­te­ment, sans volonté de nuire ni de favo­ri­ser qui­conque. Car notre devoir reste d’in­for­mer, indé­pen­dam­ment des pra­tiques de com­mu­ni­ca­tion des col­lec­ti­vi­tés, des entre­prises, des per­son­na­li­tés poli­tiques ou autres… Sans jamais ména­ger qui­conque aux seules fins d’en­tre­te­nir de bonnes rela­tions, d’ob­te­nir des inter­views ou des publi­ci­tés. Et ce quel qu’en soit le prix.

Muriel Beaudoing, direc­trice de publi­ca­tion de Place Gre’net

MB

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