FOCUS – « Briser le tabou du deuil » et « porter un message d’espoir ». Tels sont les objectifs du film Et je choisis de vivre, qui raconte l’histoire d’Amande, jeune maman en quête de sens et de joie de vivre suite à la perte de son enfant. Pour soutenir sa réalisation, une série de conférences et de levées de fonds est organisée à travers la France. Entretien avec Armelle Six, conférencière qui partage sa propre expérience du deuil et sa perception du film, à Grenoble ce lundi 20 février avec le réalisateur du film Nans Thomassey.
Le manque, la détresse, l’isolement… La perte d’un être cher reste un sujet difficile à aborder, presque tabou, même s’il est présent dans la vie de chacun.
Comment le vivre comment en parler, et comment apporter son soutien à des proches qui vivent un deuil ? Le deuil se termine-t-il un jour ? Telles sont des questions au cœur de la conférence d’Armelle Six, conférencière, et de Nans Thomassey, le réalisateur du film Et je choisis de vivre, qui se tient ce lundi 20 février à l’Espace diocésain du Sacré Cœur (4, rue Émile Gueymard) à Grenoble, à 20 heures.
Cette soirée, qui s’inscrit dans une série de conférences données à travers la France, abordera plus précisément le sujet du deuil à travers la présentation du projet du film. Un documentaire qui raconte l’histoire d’Amande, jeune maman en quête de sens après la perte de son enfant. Par le biais de son ami Nans, elle rencontre des personnes qui ont vécu la même épreuve, qui partagent leurs expériences mais aussi leur joie de vivre retrouvé malgré la douleur. Parmi ces personnes, Armelle Six. Entretien.
Pourquoi soutenez-vous ce film ?
Tout d’abord parce que c’est mon expérience : il y a quinze ans, j’ai perdu mon fils. Je connais la douleur liée à la perte de son enfant. Je connais la douleur qui peut durer des années, le deuil, la sensation de se sentir perdu, seul, incompris, de ne pas savoir comment traverser cette épreuve…
Fin octobre, j’ai été invitée par Nans Thomassey, le réalisateur du film, à participer au premier repérage. J’ai trouvé que, pour ma vie en ce moment, cette invitation était très symbolique, et puis cela m’a parlé très fort. Après avoir rencontré Amande et toute l’équipe, j’ai été très touchée. Nous avons gardé le contact, et puis Nans m’a invitée à organiser cette tournée de conférences.
Pour moi, c’est vraiment important de soutenir ce film, car il y a beaucoup de gens en situation de deuil qui n’ont pas cet accompagnement, qui n’ont pas cette main tendue que Nans tend à Amande. Je trouve ce geste tellement magnifique ! C’est très important que ce film sorte. J’ai eu envie d’apporter le soutien que je pouvais.
Vous donnez beaucoup de conférences à travers le monde…
Oui, mais par sur cette thématique-là. En général, je parle de l’éveil, qui est ce vers quoi m’avait conduite mon expérience vécue. Elle m’a ramenée à la vie et m’a reconnectée avec ce qui est plus grand que nous. Ce dont nous sommes tous conscients intuitivement, mais nous nous arrêtons rarement dans nos vies pour nous asseoir et juste sentir : « Il y a quelque chose de plus grand que moi qui me porte, qui est à l’œuvre dans ma vie. »
J’ai passé des années à contempler ça, à prendre du temps et à exprimer mon intention de me reconnecter à ça. On peut se sentir isolé, se sentir seul et, pourtant, quand on prend le temps de re-nourrir ça, de revenir à ça, on se rend compte qu’il y a quelque chose qui est toujours là. Mon impression est d’être aujourd’hui plus épanouie que jamais.
Je donne des conférences à ce sujet et, parfois, je partage mon histoire et comment j’en suis arrivée là. Je parle de tout ce qui s’est passé et de toute la force de vie qui s’est réveillée en moi. J’ai l’impression que la mort de mon fils m’a appris ce qu’était l’amour, ce qu’était aimer et que c’est vraiment le chemin de vie sur lequel je suis : de découvrir dans tout les recoins de mon être la profonde humanité. A travers mon expérience, j’ai eu un désarroi profond et une énorme ouverture s’est faite. C’est ça qui a fait tout mon chemin, ma reconnexion avec la présence.
Une des grandes question de cette conférence est « le deuil se termine-t-il un jour ? ». Qu’en pensez-vous ?
Par mon expérience j’ai l’impression que oui, que l’acceptation est tellement profonde, qu’il y a aussi une évidence qui se fait : la perspective de la relation avec l’être disparu a changé. Quand la personne était là, la relation était de l’ordre physique et extérieure. Ce qui se passe après la mort, c’est que cette relation devient intérieure. On a la relation avec cette personne dans notre cœur et elle ne part jamais.
Ce qui apaise beaucoup c’est de se rendre compte du fait que le lien ne se coupe jamais, c’est la relation qui change de perspective. Je pense qu’à ce moment-là il y a une acceptation profonde de la mort de la personne, de sa disparition physique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus jamais d’émotions. Je me dis que peut-être toute ma vie je serai touchée par une maman avec son fils. Je ne peux pas le savoir, peut-être que toute ma vie je vais pleurer… C’est normal, c’est beau d’être touché, c’est là où l’on se rend compte de notre humanité, cela change aussi notre perspective par rapport aux émotions.
L’acceptation est donc une “technique” pour surmonter l’épreuve de la perte d’un être cher ?
Je ne le vois pas comme une technique. Je ne pense pas qu’on peut travailler pour accepter quelque chose, mais que c’est quelque chose qui vient naturellement dans le processus. On passe vraiment par différentes étapes, différentes phases, qui ont toutes leur sens et leur importance. Ce qui est vraiment important c’est de laisser vivre ses émotions, de s’autoriser, de se permettre d’être en colère, de sentir la profondeur de la tristesse…
Il faut aussi apprendre et oser demander de l’aide. Et, à un moment, au cours de tout ça, je pense qu’il y a un apaisement qui se fait naturellement. Si vraiment on écoute tout ce qui nous habite naturellement, la vie nous amène à ça, à cette conclusion inévitable : « Oui, la personne est morte, c’est douloureux et elle ne reviendra plus, mais aujourd’hui la vie est là. » On doit aussi se donner l’autorisation de vivre. C’est pour cela que le titre du film me parle beaucoup : je pense que c’est véritablement un choix, on choisit de vivre.
Quand vous parlez d’accompagnement des personnes en deuil, vous entendez par là plutôt l’accompagnement par des spécialistes ?
Des associations avec des bénévoles peuvent apporter leur aide. Mais je pense que cela peut aussi être nos proches, bien que souvent ils ne soient pas « armés » pour accompagner. En général, ils ont envie d’aider… On peut leur dire : « Tiens, j’ai besoin que tu m’écoutes, j’ai besoin tout simplement de ta main, j’ai besoin que tu me serres pour que je puisse pleurer. » On peut leur apprendre, parce que peut-être ils ne savent pas non plus.
Je pense que c’est important quand on est en deuil d’avoir un espace, d’avoir quelqu’un en qui on a confiance à qui on a envie de raconter l’histoire tant qu’on a besoin de la raconter. Peut-être que cela va durer cinq ans, six ans ou dix ans. Peut-être qu’après, pendant une certaine période, il n’y aura rien et puis “boum”, un jour, je vais voir quelque chose, je vais entendre quelqu’un qui va vivre un deuil près de moi et la plaie va se ré-ouvrir.
Ce n’est pas toujours facile pour l’entourage, parce que souvent il a l’impression que ça doit être fini, mais on ne vit pas la même chose à l’intérieur, on vit des choses décalées par rapport à la réalité. Je pense qu’on peut apprendre à nos proches à nous accompagner et ceci nous fait grandir ensemble, cela donne une profondeur magnifique à la relation. Je pense qu’on doit se dire que, quelle que soit l’émotion, c’est vraiment normal de la vivre, ça fait partie de l’humanité et aussi du processus de deuil.
Le film parle de la vie. Pourquoi en parlant de deuil est-il si important de parler surtout de la vie ?
Je pense que ce qu’Amande cherchait à travers de ce film c’est à retrouver le goût de vivre et de se reconnecter avec cette force de vie qui est plus forte. Elle était déjà bien accompagnée par ses amis depuis plusieurs mois mais, malgré tout, elle vivait une douleur atroce. Elle se disait : « Je vais vivre avec cette douleur toute ma vie » et je ne vais jamais y arriver. Elle a demandé à Nans de rencontrer des gens ayant vécu la même expérience et qui s’en sont sortis grandis. Elle disait : « Je veux être inspirée, je veux savoir que c’est possible. » C’est comme ça que je me suis retrouvée à témoigner, comme d’autres personnes qu’on retrouve dans le film qui ont traversé la même épreuve.
Ce film peut-il toucher tout le monde ?
Même si l’on ne vit pas de deuil, dans nos entourages, on a des gens qui vivent ça. C’est un merveilleux film qui montre comment accompagner les autres, comment on peut être un tuteur de résilience par rapport à la douleur que peuvent vivre nos proches, en étant simplement là. J’ai envie de dire : au-delà des deuils physiques – la mort ou la disparition de quelqu’un – on fait des petits deuils au quotidien : le deuil de ne pas avoir été une personne qu’on aurait aimé être ce jour-là, le deuil ne pas avoir réussi un projet, le deuil de ne pas avoir eu les parents qu’on aurait voulu avoir… Des deuils, on en fait tout le temps !
Le deuil, c’est le passage de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte, de la vie de célibataire à la vie de couple, puis au statut de parent… Dans la vie, à chaque instant, constamment, on vit des petits deuils. Au-delà de la perte physique, le deuil fait partie intégrante de nos vies. On a oublié ça.
On vit comme si la vie était une continuité et on ne s’arrête pas un instant pour voir tout ça, on vit comme s’il n’y avait jamais de mort. La mort est une partie de nos vies et, si on arrive à mettre la mort au centre de nos vies plutôt que de l’éviter, on va voir comment on est encore plus en vie, que la vie est encore plus pétillante, plus profonde et plus intense parce qu’on est beaucoup plus présents.
Propos recueillis par Yuliya Ruzhechka
L’inscription à la conférence grenobloise se fait en ligne. L’accueil débutera à 19 h 40.
La participation est de 5 euros par personne.
Une campagne de crowdfunding est organisée afin de permettre la réalisation du film.
LE FILM COMMENCE PAR LE CONTE DE KISA GAUTAMI
Cette jeune femme venait de perdre son unique enfant d’un an, et dans son immense douleur vint déposer le petit corps aux pieds du Bouddha, en l’implorant de ramener celui-ci à la vie. Le Bouddha la regarda avec une grande compassion, et lui demanda d’aller chercher une poignée de graines de moutarde, dans une maison où il n’y avait jamais eu de mort.
Kisa errait ainsi de maison en maison quémander ces graines, mais partout la réponse était la même : chacun était disposé à lui donner la poignée de graines, mais aucun foyer n’était exempt de deuil. Ici un enfant, là un mari, ailleurs une grand mère… Finalement, elle revint auprès du Bouddha, épuisée mais apaisée par la prise de conscience qu’elle n’était pas la seule à souffrir d’un deuil, et que la mort était le lot de tous les vivants.