FOCUS – Le Conseil municipal de la ville de Grenoble a voté ce lundi 6 février une délibération cadre sur la politique culturelle qu’entend mener la ville. Un nouveau contrat comprenant notamment les modalités d’accompagnement des opérateurs culturels et de nouveaux dispositifs de soutien à la création. Les objectifs ? Affirmer la liberté de créer, poser les bases d’une relation de confiance et « fabriquer ensemble ».
« La tâche qui nous incombe est exigeante parce que la politique culturelle est une responsabilité partagée entre l’État, la Ville de Grenoble et d’autres collectivités. […] C’est un enjeu passionnant qui nous mène à nous questionner sur ce dont nous voulons parler quand nous nous engageons pour l’art et la culture », a expliqué Éric Piolle, le maire de Grenoble, le 2 février dernier en introduction de la présentation des grandes lignes du nouveau contrat proposé aux quelque 150 acteurs et opérateurs culturels accompagnés par la Ville.
C’était en effet là tout l’objet de la délibération cadre qui a été soumise aux votes de l’assemblée délibérative lors du conseil municipal de ce lundi 6 février. Ce document détaillé de 67 pages, prochainement accessible à tous, comprend notamment les modalités d’accompagnement des opérateurs culturels et de nouveaux dispositifs de soutien à la création
La subvention : une garantie d’indépendance ?
« Ce n’est pas un hasard si le budget de la culture est le second budget de la ville après celui de l’éducation et de la jeunesse », a rappelé non sans une certaine fierté Éric Piolle. De fait, il représente 15 % du budget global avec plus de 30 millions d’euros par an. « Un investissement fort de sens, estime l’élu qui considère que culture et éducation sont les deux piliers d’une démocratie ouverte, vivante et approfondie ». Et de préciser pour rassurer l’audience, revenant à la seule culture. « Le soutien municipal, qui passe notamment par la subvention, doit être perçu non pas comme la contrepartie d’une loyauté [politique, ndlr] mais bien comme une garantie d’indépendance ». Dont acte.
En proposant un nouveau contrat aux acteurs culturels qu’elle accompagne, la Ville souhaite ainsi s’engager au-delà de la seule démarche de subventionnement. Notamment à travers les critères d’accompagnement et d’instruction des dossiers lisibles, le fonctionnement du comité d’avis et le conventionnement pluriannuel qui sera, c’est promis, « systématiquement recherché » pour sécuriser les acteurs culturels. Le tout dans « une démarche de confiance ». Avec ce nouveau contrat “couteau suisse”, la Ville entend bien « affirmer la liberté d’expression, de création et de programmation des artistes et des structures culturelles comme un préalable ». Tout en s’assurant de la « transparence et du bon usage des fonds publics ». Rien que cela.
Une manière de déminer le terrain après une année difficile durant laquelle les acteurs culturels ont exprimé un certain malaise ? Éric Piolle, sans nier que cela a été compliqué, résume la nouvelle démarche.
Une concertation avec une vingtaine d’acteurs des musiques actuelles
Quid de la substantifique moelle de cette délibération ? Corinne Bernard, l’adjointe à la culture réitère, tout en les complétant, les propos du maire. « Cette délibération cadre, elle est là pour reposer les bases de confiance. Nous avons un éventail de vingt dispositifs d’accompagnement que nous voulons transparents, opposables et contractuels », déclare l’élue.
Qui met en avant la concertation permanente, le « fabriquer ensemble » – le verbe coconstruire ne semblant plus avoir la cote – pour échanger sur des sujets thématiques et faire évoluer les dispositifs si nécessaire.
Une concertation avec une vingtaine d’acteurs des musiques actuelles a d’ailleurs déjà été lancée durant l’été 2016 afin d’aborder le soutien à ce secteur culturel. Du reste, la Ville l’annonce, d’autres concertations thématiques seront initiées courant février.
« Dès le lendemain du conseil municipal, nous invitons ceux que nous n’avons pas encore vus – le spectacle vivant, la danse, le théâtre mais aussi le patrimoine et les arts plastiques –, afin de débattre sur les dispositifs en place, ce que fait la ville et comment elle le fait », anticipe Corinne Bernard.
Un processus vertueux, selon l’élue, qui sera amendé, si le cas échoit, tous les ans lors du conseil municipal du mois de juin.
Plus de baisse globale des subventions en 2017
Pour asseoir la confiance, « des conventions triennales seront proposées à sept opérateurs labellisés par l’État que nous avons qualifiés de structurants », poursuit l’adjointe à la culture. Au nombre de ces derniers, Le Pacifique, la Cinémathèque et Le Magasin, auxquels viendront s’ajouter les petits nouveaux que sont le Nouveau théâtre Sainte-Marie-d’en-Bas (NTSMB), l’Espace 600, Le Prunier sauvage et le théâtre Prémol dont la reconstruction est prévue pour 2018.
L’élue l’assure, ces conventions ne se limiteront pas à ces lieux. « Ces conventions de trois ans sont quelque chose que nous voulons encourager et proposer à beaucoup plus. Peut-être à des festivals, à des compagnies de création ou d’autres lieux », annonce l’élue. Un souhait d’autant plus aisé à réaliser que – ô divine surprise – la municipalité a les coudées franches.
« Nous n’avons plus, en 2017, de baisse globale du budget subventions », se réjouit en effet Corinne Bernard.
Plus de transparence dans l’attribution des subventions
Toujours au chapitre du « fabriquer ensemble » et au rayon des nouveautés annoncées lors du conseil municipal, des changements vont être appliqués au fonctionnement du fameux comité d’avis d’attribution des subventions du secteur culturel, désormais doté d’un règlement. « On nous a des fois interpellés sur son fonctionnement », rappelle Corinne Bernard, qui assure qu’il fera l’objet « d’un compte-rendu annuel à destination des conseillers municipaux et de la commission culture ».
Autre nouveauté, à partir du 13 février et jusqu’au 17 mars, des urnes vont être déposées dans les équipement culturels municipaux (conservatoire, bibliothèques, musées…). Dans quel but ? Pour que les usagers de ces équipements « puissent se porter volontaires et s’engager pour deux ans auprès du comité d’avis et du travail des élus autour de l’attribution des subventions », précise l’élue à la culture. Autant d’innovations qui vont dans le sens de la transparence « puisque nous sommes comptables envers les administrés de l’utilisation de l’argent public », souligne Corinne Bernard.
Cinq nouveaux dispositifs
Pour en revenir aux dispositifs de soutien à la culture, quels sont-ils ? Sur les vingt qui sont détaillés dans le document annexe à la délibération, la Ville met le focus sur cinq nouvelles dispositions : une bourse aux arts plastiques, l’accompagnement des musiques actuelles, des ateliers d’artistes pour des résidences de courte ou moyenne durée, des murs d’expression libre, des fresques murales et, enfin, l’accompagnement du spectacle vivant.
Pour autant, ce nouveau contrat permettra-t-il de faire retomber le vent de fronde qui souffle sur le milieu culturel grenoblois et d’apaiser les tensions qui n’ont fait que s’amplifier depuis le début du mandat ? Quant aux chantiers de la culture, silence radio, ils n’ont à aucun instant été évoqués, laissant ainsi planer un sérieux doute sur leur pérennité…
Joël Kermabon
Richard Cazenave : « des mauvais coups portés à la culture sans concertation »
Bien qu’entérinée par la majorité municipale, cette délibération n’est pas passée comme une lettre à la poste. Les différents groupes d’opposition n’ont pas manqué de donner leur avis sur les orientations que ce nouveau contrat propose aux acteurs culturels grenoblois.
Richard Cazenave, conseiller municipal du groupe Les Républicains – UDI et Société civile, s’il se félicite des « échanges normaux » avec Corinne Bernard et estime que ce contrat « va dans le bon sens », n’en exprime pas moins son désaccord. « Les mauvais coups portés à la culture depuis votre arrivée ici l’ont été sans concertation. […]
Qu’il s’agisse des Musiciens du Louvre, de l’arrêt de la subvention à la MC2, de la programmation du théâtre municipal, des bibliothèques ou encore du spectacle vivant avec l’éviction sans raison défendable du Tricycle », a rappelé l’élu.
Autant de sujets en porte-à-faux avec les velléités de respect du travail et de la liberté de création des acteurs prônés par le nouveau contrat, a pointé le conseiller municipal. « Bien des décisions antérieures ne nous ont pas apporté des éléments allant dans ce sens », a‑t-il encore asséné, assurant que c’était d’ailleurs la raison pour laquelle son groupe avait quitté le comité d’avis.
Alain Breuil : « Il y a de bonnes choses dans cette délibération »
Alain Breuil, conseiller municipal du groupe Front national, s’interroge quant à lui sur la réelle liberté qui sera donnée aux créateurs. « Comment allez-vous garantir la liberté et l’indépendance des acteurs culturels avec un comité d’avis qui devra, a priori, donner des avis ? », interroge-t-il l’adjointe à la culture. Mais ce qui le chagrine beaucoup plus c’est que son groupe ne soit pas représenté dans le comité d’avis. « C’est une forme de discrimination », tonne-t-il. Tout en concédant « qu’il y a des bonnes choses dans cette délibération », Alain Breuil met en garde : « Nous utilisons de l’argent public et cet argent public soit être utilisé à bon escient », conclut-il.
Paul Bron : la culture, un domaine souvent conflictuel
Pour Paul Bron, conseiller municipal du groupe Rassemblement de gauche et de progrès, cette délibération arrive un peu tard. « Cela fait trois ans que les acteurs culturels vous demandent un projet de politique culturelle […], il y a une forte attente de ce point de vue-là », regrette l’élu. Qui considère que la délibération ne propose qu’un cadre administratif, de surcroît à budget constant.
Pour lui, c’est très clair, ce dont ont réellement besoin les acteurs culturels « ce n’est pas d’être accompagnés mais c’est d’être considérés et reconnus ».
Une confiance qui ne se décrète pas mais « se gagne dans le débat, la confrontation d’idée, la concertation », alors même que les acteurs culturels pointent un manque de dialogue « dans un domaine qui est souvent conflictuel ». Paul Bron estime en outre que l’éducation populaire avec ses valeurs reste le parent pauvre de ce projet.
L’élu reproche également au texte de la délibération de « pousser sous le tapis un certain nombre de questions politiques qui se posent aujourd’hui à Grenoble ». En clair ? « Il évite ce qui fâche, il gomme les conflits actuels […] Là, vous ne prenez pas la situation à bras le corps », lâche-t-il. Et de conclure : « Je ne suis pas certain que tant la grille de lecture que le comité d’avis soient vraiment la bonne solution attendue face au désarroi que votre politique culturelle a créé dans la ville. »
Anouche Agobian : « Que d’espoirs et d’argent public gâchés ! »
C’est à Anouche Agobian, conseillère municipale du même groupe que Paul Bron que revient la palme de la désapprobation. « Vous êtes arrivée dans une mairie ou il y avait un très bel écrin [culturel, ndlr], vous n’aviez plus qu’à faire ! », a adressé à Corinne Bernard l’élue remontée comme un coucou, provoquant ainsi de vives protestations sur les bancs de la majorité. Et de poursuivre. « Trois ans que nous attendons une délibération cadre qui va structurer et définir « la » politique culturelle de cette majorité.
Trois ans pour aboutir à quelques pages de rhétorique politicienne », s’emporte-t-elle. « C’est inquiétant et totalement décourageant mais, à la réflexion, c’est tellement ce à quoi vous nous avez habitués ces trois dernières années », a lâché Anouche Agobian.
Qui a pointé les manques du nouveau contrat qui figuraient pourtant dans la liste des engagements du candidat Piolle lors des élections municipales. Notamment le point 108, qui lie la politique culturelle à l’éducation populaire, le point 109 pour le soutien aux pratiques artistiques et culturelles…
La liste ne s’arrête pas là. « Nous nous attendions à trouver le sort réservé au chantier des cultures… Pas un mot ! […] Que d’espoirs et d’argent public gâchés ! », a déploré l’élue. Qui s’est lancée dans la même énumération que son collègue de droite Richard Cazenave lorsqu’il évoquait les fermetures ou coupes de subventions.
« En résumé, vous osez aujourd’hui, après trois ans d’attente, présenter une pseudo délibération cadre qui n’est, en fait, que la casse annoncée de la culture grenobloise. Quel gâchis d’avoir ainsi détruit ce qui constituait l’ADN culturel de Grenoble », a conclu Anouche Agobian.