CRITIQUE – Des pièces de Molière, il est convenu de dire qu’elles demeurent incroyablement actuelles. Dans le cas de Dom Juan, qui méprise l’hypocrisie de ceux qui se cachent sous le manteau de la religion, c’est terriblement vrai. À la MC2 jusqu’au 28 janvier, le metteur en scène Jean-François Sivadier nous propose une superbe interprétation de la pièce. Avec, dans le rôle-titre, un irrésistible Nicolas Bouchaud, entouré par une troupe de comédiens aussi convaincants dans le rire que dans l’émotion. Du beau théâtre populaire, au sens le plus noble du terme.
Ils nous avaient déjà éblouis avec La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, il y a tout juste deux ans. Le duo composé du metteur en scène Jean-François Sivadier et du comédien Nicolas Bouchaud remet ça dans Dom Juan, de Molière, présenté jusqu’au 28 janvier à la MC2.
Du décor de la précédente pièce, on retrouve globes et sphères. Manière de souligner, discrètement, la parenté qui lie les deux personnages, également chéris par le metteur en scène. La pensée de Dom Juan – libérée de toute emprise religieuse – doit en effet beaucoup aux découvertes de Galilée.
Dom Juan, un héros en rupture avec son temps
L’intelligence de la scénographie ne s’arrête pas là. Les sphères suspendues se parent de toutes les lectures, installent toutes les ambiances. Autant planètes que boules à facettes – symbole festif anachronique mais aussi renvoi à l’éternel hédonisme du héros –, elles disent les multiples visages de Dom Juan. Au XVIIe siècle, le libertin, en plus du plaisir des sens, jouit du plaisir de penser, débarrassé qu’il est des superstitions propres à l’Église.
Nicolas Bouchaud, qui met son charme et son charisme au service du personnage, l’incarne ainsi. Davantage homme moderne, par la rébellion de sa pensée, qu’intolérable bourreau des cœurs. Dans la lecture que donne Jean-François Sivadier de la pièce, même Sganarelle, qui tient pourtant son maître pour « le plus grand scélérat que la Terre ait jamais porté », voue à Dom Juan une véritable tendresse.
Vincent Guédon, qui interprète le plus fameux des valets, excelle autant dans le registre burlesque que dans l’émotion. Comme lorsqu’il chante “Les passantes” : « Mais quand on a raté sa vie / On songe avec un peu d’envie / À tous ces bonheurs entrevus / Aux baisers qu’on n’osa pas pendre / Aux cœurs qui doivent vous attendre… » Sublime relecture du texte de Brassens, qui sonne ici comme un hommage à Dom Juan dont on sait le sort scellé.
Les occurrences – nombreuses – du mot “Ciel” s’affichent sur un panneau lumineux à mesure qu’elles sont prononcées par les divers personnages. Un compte à rebours qui souligne malicieusement le caractère tragique de la pièce.
Entre modernité et fidélité
Brassens chanté par Sganarelle, Marvin Gaye par Dom Juan, qui lit aussi un extrait de La Philosophie dans le boudoir, du Marquis de Sade (autre filiation, éminemment pertinente) : Jean-François Sivadier ne s’interdit pas l’anachronisme, pourvu qu’il signale l’inaltérable force du texte. Une mise en scène moderne donc qui s’autorise malgré tout de jolis clins d’œil aux machineries des scènes sur lesquelles se produisait Molière.
Tout en exploitant les multiples ressources offertes par la technique contemporaine – notamment via la lumière, superbement travaillée –, la mise en scène use des ressorts d’autrefois en la personne des machinistes. Lesquels jouent de la corde à vue pour faire tomber des cintres les multiples éléments de décors. Ces artifices théâtraux du passé s’en trouvent autant magnifiés – certains tableaux sont de toute beauté – que mis au service du burlesque de la pièce grâce au caractère – faussement – bricolé de l’ensemble.
Bref, tout concourt ici à inscrire le spectacle dans l’histoire du théâtre. Un parti pris didactique – dans le bon sens du terme – qui ne gâte en rien le joli ménage de la drôlerie, de l’émotion et de la réflexion. Le théâtre, selon Molière.
Adèle Duminy
Infos pratiques
Dom Juan, de Jean-François Sivadier
Samedi 21 janvier, à 19 h 30
Mardi 24 janvier, à 20 h 30
Mercredi 25 janvier, à 19 h 30
Jeudi 26 janvier, à 19 h 30
Vendredi 27 janvier, à 20 h 30
Samedi 28 janvier, à 19 h 30
De 10 à 25 euros.
Également à la MC2, Nicolas Bouchaud met en scène et joue “Interview”, aux côtés de Judith Henry, du 6 au 14 avril 2017.