L’hébergement d’ur­gence à l’heure d’hi­ver, entre ten­sions… et solutions ?

L’hébergement d’ur­gence à l’heure d’hi­ver, entre ten­sions… et solutions ?

DÉCRYPTAGE – Les tem­pé­ra­tures en baisse déclenchent l’ou­ver­ture de nou­velles places d’hé­ber­ge­ment, mais cette ges­tion jugée “au ther­mo­mètre” est loin de satis­faire les col­lec­tifs et asso­cia­tions. Tout comme le « ren­voi de balle » entre col­lec­ti­vi­tés, dénoncé par ces der­nières, dans un contexte où la ten­sion se fait sen­tir et où cer­tains vont chas­ser les loge­ments vides comme d’autres les Pokemon.

Alors qu’une vague de froid s’a­bat sur Grenoble, la ques­tion du loge­ment comme de l’hé­ber­ge­ment d’ur­gence se pose de manière encore plus brû­lante. Face aux pré­vi­sions de Météo France, la pré­fec­ture a ainsi relancé le niveau 2 du plan Grand Froid. C’est la deuxième fois cette année que ce niveau est déclen­ché : il l’a­vait été pour quelques jours, cette fois il se pro­longe – au moins – jus­qu’au 20 janvier.

Alain Denoyelle, adjoint de Grenoble à l'action sociale. © Joël Kermabon - placegrenet.fr

Alain Denoyelle, adjoint de Grenoble à l’ac­tion sociale. © Joël Kermabon – pla​ce​gre​net​.fr

Ces plans hiver­naux et leurs dif­fé­rents niveaux en fonc­tion des tem­pé­ra­tures sont lar­ge­ment dénon­cés par les asso­cia­tions, qui y voient une « ges­tion au ther­mo­mètre » pré­fec­to­rale. Des cri­tiques relayées au niveau poli­tique. Alain Denoyelle, adjoint de Grenoble à l’ac­tion sociale, parle lui de « schi­zo­phré­nie. »

« Schizophrénie entre une démarche d’hé­ber­ge­ment – que tout le monde annonce comme ne devant pas être menée au ther­mo­mètre – et le plan hiver­nal lié au calen­drier, annoncé de début novembre à fin mars… C’est bien d’ou­vrir des places, mais que se pas­sera-t-il au 31 mars ? Et quels sont les moyens d’ac­com­pa­gne­ment des per­sonnes vers d’autres struc­tures en fonc­tion des besoins durant ces cinq mois ? Nous n’a­vons pas d’élé­ments sur ces ques­tions. »

Grenoble déploie 320 places d’hébergement

Alain Denoyelle sou­ligne que la Ville de Grenoble, via le CCAS, par­ti­ci­pera au déploie­ment des 320 places d’hé­ber­ge­ment ini­tia­le­ment pré­vue par le Plan hiver­nal, notam­ment sur le site du Rondeau. Mais n’ou­blie pas de rap­pe­ler à ses res­pon­sa­bi­li­tés l’État, en charge de l’hé­ber­ge­ment d’urgence.

« Je sou­haite que, comme les années pré­cé­dentes, l’État puisse pour­suivre sur un cer­tain nombre de places au-delà du 31 mars, mais ce dis­po­si­tif met quand même tout le monde dans l’in­cer­ti­tude, les per­sonnes accueillies comme les struc­tures qui gèrent, et dans une ten­sion dif­fi­cile qui se tra­duit par des mani­fes­ta­tions et autres, ce qui n’est pas une situa­tion sereine pour suivre des per­sonnes qui auront tou­jours besoin d’un héber­ge­ment au 1er avril, quand le plan hiver­nal sera clos. »

À l’oc­ca­sion d’une ren­contre orga­ni­sée par l’as­so­cia­tion Un toit pour tous le mardi 10 jan­vier, le direc­teur de l’in­ter­ven­tion et de l’ob­ser­va­tion sociale du CCAS de Grenoble Arthur Lhuissier met­tait en avant les actions de la muni­ci­pa­lité. Étaient ainsi men­tion­nées 123 places d’hé­ber­ge­ment au Rondeau, 62 mises à dis­po­si­tion d’ap­par­te­ments d’ins­ti­tu­teurs non occu­pés, et encore 85 per­sonnes héber­gées à l’hô­tel. Tout cela « en com­plé­ment » des places déjà pré­vues par la préfecture.

Arthur Lhuissier, directeur de l'intervention et de l'observation sociale du CCAS de Grenoble. © Florent Mathieu - Place Gre'net

Arthur Lhuissier, direc­teur de l’in­ter­ven­tion et de l’ob­ser­va­tion sociale du CCAS de Grenoble. © Florent Mathieu – Place Gre’net

Des don­nées détaillées dans un contexte de hausse du nombre de per­sonnes à la rue en Isère, selon les der­niers chiffres pré­sen­tés par Bernard Archer, ancien pré­sident d’Un toit pour tous. Près de 4 000 per­sonnes « sans solu­tion », contre 2 200 pour 2015. Sans comp­ter les Roms, ou les deman­deurs d’a­sile non pla­cés dans un lieu d’hé­ber­ge­ment. Ils seraient cette année 1 250.

« Nous sommes bien conscients que cela ne répond pas aux besoins, mais nous ne sommes pas du tout inac­tifs ! », a insisté Arthur Lhuissier, face à un public hou­leux com­posé en grande par­tie de mili­tants d’as­so­cia­tions ou de col­lec­tifs tels que la Patate Chaude ou le Dal 38 (Droit au loge­ment 38).

Un « manque de cou­rage » de la municipalité ?

Une ten­sion que consta­tait déjà Claire, du col­lec­tif des Morts de la rue, fin 2016 : « À Grenoble, je vois pas mal de colère qui com­mence à mon­ter. Des gens qui ne se res­semblent pas et com­mencent à s’as­so­cier, des mal-logés, des loca­taires pré­caires… On en a fini avec la négo­cia­tion avec l’ins­ti­tu­tion, on n’a plus le temps… »

Et la jeune femme de tacler la muni­ci­pa­lité elle-même, consi­dé­rant que les pro­messes de cam­pagne du can­di­dat Éric Piolle n’ont pas été tenues. « Personnellement, j’es­time qu’il y a un grand manque de cou­rage. Il y avait des enga­ge­ments de la nou­velle muni­ci­pa­lité sur la mise à dis­po­si­tion des bâti­ments vides, le gel de la hausse des loyers, dif­fé­rentes mesures certes longues et dif­fi­ciles à mettre en place, mais on voit sur­tout des gens qui se ren­voient la balle en expli­quant que c’est la res­pon­sa­bi­lité de l’État, ou de la Métro, ou de la pré­fec­ture… »

Cérémonie de la Toussaint des Morts de la rue © Florent Mathieu - Place Gre'net

Cérémonie de la Toussaint des Morts de la rue © Florent Mathieu – Place Gre’net

Véronique Gilet, direc­trice de la Fédération Rhône-Alpes de la Fondation Abbé Pierre, regrette elle aussi ce ren­voi de balle, éter­nelle pro­blé­ma­tique des poli­tiques sociales. « Ce mou­ve­ment struc­tu­rel qui consiste à se répar­tir les com­pé­tences, dans un contexte où les inter­com­mu­na­li­tés montent et deviennent chefs de file, fait que beau­coup de col­lec­ti­vi­tés se res­serrent sur leurs com­pé­tences. Mais c’est vrai que sur le ter­rain, pour une per­sonne en galère, cela crée des choses très com­pli­quées : on a tout un champ d’ac­teurs qui n’in­ter­viennent que sur des por­tions du pro­blème », indique-t-elle, ajou­tant que la plu­part des ter­ri­toires sont concer­nés par cette problématique.

« L’hébergement, un moyen et un levier »

Véronique Gilet refuse cepen­dant de voir la ques­tion de l’hé­ber­ge­ment comme un pro­blème. « L’hébergement, c’est un moyen, et c’est aussi un levier. Ça doit res­ter tem­po­raire. Ce n’est pas qu’un pro­blème, c’est aussi une solu­tion. Mais nous avons aujourd’­hui des acteurs qui peinent à prendre leurs res­pon­sa­bi­li­tés. »

Pour mieux les y inci­ter, la Fondation Abbé Pierre a par ailleurs lancé une nou­velle cam­pagne bap­ti­sée “On attend quoi”, avec son hash­tag de rigueur. Celle-ci durera jus­qu’à la fin des élec­tions pré­si­den­tielles et légis­la­tives, s’ins­cri­vant ainsi tota­le­ment dans le tempo de la vie élec­to­rale, période pro­pice aux interpellations.

Véronique Gilet, directrice régional de la Fondation Abbé Pierre © Fondation Abbé Pierre

Véronique Gilet, direc­trice régio­nal de la Fondation Abbé Pierre. © Fondation Abbé Pierre

« On fait le pari de ne pas nier le côté concret des choses, explique Véronique Gilet. Il faut valo­ri­ser les solu­tions. Ce n’est pas irréa­liste : nous avons tous les jours des pro­jets per­met­tant aux gens d’a­voir des loge­ments, et déjà dans les mains un cer­tain nombre d’ou­tils et d’ac­tions pour avan­cer. Et sor­tir de la simple idée que les caisses sont vides. »

Et la direc­trice, à l’i­mage de nom­breux acteurs asso­cia­tifs, de rele­ver com­ment l’or­ga­ni­sa­tion de l’ac­cueil des “migrants de Calais” a pu être mise en place.

« On voit, avec l’or­ga­ni­sa­tion de quelque chose dont l’ur­gence était abso­lue, com­ment les col­lec­ti­vi­tés peuvent être à la manœuvre, et com­ment l’État repi­lote, en orga­ni­sant un accueil sur l’en­semble du ter­ri­toire ». Un accueil qui n’im­plique pas de « concur­rence avec les sys­tèmes paral­lèles », pré­cise Véronique Gilet.

« On est obli­gés de mettre des priorités »

Les sys­tèmes paral­lèles comme le 115, dont les employés eux-mêmes ont exprimé récem­ment leur ras-le-bol, fai­saient grève pour inter­pel­ler la pré­fec­ture au moment où celle-ci pré­sen­tait son Plan hiver­nal. Une inter­pel­la­tion pas for­cé­ment du goût d’Un toit pour tous, qui gère, en com­mun avec le Relais Ozanam, le Service inté­gré d’ac­cueil et d’o­rien­ta­tion du 115. Et que des sala­riées n’a­vaient pas man­qué de mettre en cause.

Frédéric Cesbron et Bernard Archer, respectivement directeur général et ancien président d'Un toit pour tous. © Florent Mathieu - Place Gre"net

Frédéric Cesbron et Bernard Archer, res­pec­ti­ve­ment direc­teur géné­ral et ancien pré­sident d’Un toit pour tous. © Florent Mathieu – Place Gre« net

Directeur géné­ral d’Un toit pour tous, Frédéric Cesbron expli­quait sa posi­tion à l’oc­ca­sion de la ren­contre du mardi 10 jan­vier. « On essaye de faire évo­luer le fonc­tion­ne­ment du dis­po­si­tif, de voir com­ment mieux gérer notre fonc­tion­ne­ment et l’at­tri­bu­tion des places exis­tantes. Ce n’est pas par­fait mais on tend à rendre le dis­po­si­tif plus per­for­mant avec le nombre de places que l’on a aujourd’­hui. La dimen­sion inter­pel­la­tion, ce n’est pas le SIAO ! »

Et le direc­teur ne cache plus son aga­ce­ment lors­qu’on lui reproche les tris entre publics pra­ti­qué par le 115. « En 2016, 6 500 per­sonnes ont fait appel au 115, et il y a 1 000 places ! On est obli­gés de mettre des prio­ri­tés, on ne peut pas faire autre­ment. On essaye de faire au mieux pour que cela soit le plus humain pos­sible. »

Réquisition contre Pokemon

L'appel à l'opération Réquisition Go ! DR1 000 places contre… 10 000 loge­ments vacants, selon l’Assemblée des loca­taires, mal logé.es et sans loge­ment.

« Il y aurait lar­ge­ment de quoi mettre à l’a­bri tout​.es celles et ceux qui sont contraint​.es de dor­mir à la rue », affirme le col­lec­tif dans son tract en faveur de l’o­pé­ra­tion « Réquisition Go ! », orga­ni­sée de concert avec le Dal 38.

Réquisition Go ! invite cha­cun à chas­ser les bâti­ments vides plu­tôt que les Pokemon, et à les signa­ler par cour­riel au col­lec­tif. « Par la suite, pré­cise le tract dif­fusé à l’oc­ca­sion, nous orga­ni­se­rons des actions pour obli­ger le maire et le pré­fet à réqui­si­tion­ner les bâti­ments vides ! »

Des actions qui, à n’en pas dou­ter, s’a­jou­te­ront aux nom­breuses mani­fes­ta­tions et autres ras­sem­ble­ments qui par­courent actuel­le­ment le pay­sage social de l’ag­glo­mé­ra­tion. Qu’il fasse ou non grand froid.

Florent Mathieu

Florent Mathieu

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