FOCUS – Après Les Particules élémentaires, de Michel Houellebecq (à la MC2 en mars 2015), le jeune metteur en scène Julien Gosselin s’attaque à une seconde somme romanesque : 2666, du romancier chilien Roberto Bolaño. Également à la MC2, on pourra voir les samedi 14 et dimanche 15 janvier cette incroyable adaptation scénique à l’image du roman fleuve : onze heures trente de représentation, entractes compris ! Retour sur le pari fou d’un metteur en scène porté aux nues par la critique.
Les défis théâtraux n’effraient pas la MC2. La première scène nationale de France a montré, ces deux dernières saisons, une appétence particulière pour les longues durées. Récemment, La Volupté de l’Honneur, de Marie-José Malis a provoqué la fuite des spectateurs en salle. Sa durée – trois heures trente – n’était pourtant pas en cause.
Ça ira (1) fin de Louis de Joël Pommerat (quatre heures trente) ou La Pincesse de Clèves, de Magali Montoya (sept heures) – deux pièces programmées la saison dernière – ont remporté un vif succès en salle, en dépit de leurs durées hors normes. Pourquoi donc s’arrêter en si bon chemin ? La pièce 2666, de Julien Gosselin – présentée samedi 14 et dimanche 15 janvier à la MC2 – affiche onze heures trente au compteur (entractes compris, tout de même). Qui n’a pas entendu parler du jeune phénomène Julien Gosselin et de sa compagnie, Si vous pouviez lécher mon cœur, a de quoi rester pantois devant un tel record !
Julien Gosselin : l’homme des défis
Difficile de ne pas recourir aux chiffres quand on parle de ce jeune metteur en scène (29 ans), déjà considéré par la critique comme la relève dans le domaine de l’écriture théâtrale.
Mille trois cents, c’est le nombre de pages que renferme la somme littéraire 2666, écrite par l’auteur chilien Roberto Bolaño (1953−2003).
Ce roman fleuve, paru de manière posthume, a été envisagé par les commentateurs – visionnaires ? – comme le grand roman monde du XXIe siècle. « Plus j’avançais dans la lecture, plus je me disais que c’était absolument impossible à faire. Et plus c’était impossible, plus c’était excitant », explique Julien Gosselin. Qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de somme romanesque inadaptable à la scène.
La MC2 accueillait déjà, en mars 2015, Les Particules élémentaires (trois heures cinquante, une broutille), adaptée du roman homonyme de Michel Houellebecq. La compagnie était alors parvenue, à force de fougue, à transposer sur le plateau les fils romanesques de cet ouvrage à l’ambition proche de celle de l’auteur chilien : embrasser le monde, dans ses mouvements les plus retors.
Un défi aussi pour le spectateur
Alors que Julien Gosselin travaillait sa création à la FabricA d’Avignon, où la pièce serait montrée pour la première fois en juillet 2016, il dévoilait déjà son ambition : « On travaille à la manière de transposer les processus narratifs, extrêmement complexes, au théâtre. On essaie d’en faire une œuvre claire dont on peut suivre l’histoire. Et en même temps, on veut proposer au spectateur un défi dans son expérience de spectateur. » Si nous n’avons pas pu voir la pièce, les échos de sa réception – plus qu’enthousiastes – nous sont forcément parvenus.
En cause, la démarche très novatrice du jeune metteur en scène et de sa compagnie, dont l’écriture théâtrale s’abreuve de tous les langages du temps. La vidéo – réalisée et projetée en direct –, la musique live – ultra-présente –, le sens du rythme et du récit qui n’a rien à envier aux séries les plus ambitieuses. Tout cela était déjà présent dans la précédente création et s’affirme avec plus de force encore, si l’on en croit la critique et les retours unanimes du public.
Une histoire de la violence
Autre clé du succès sans doute ? Le récit, arachnéen, que renferme l’œuvre du Chilien, qui tentait, d’après Julien Gosselin, de répondre à une question de taille : « Est-ce que la littérature est plus forte que la violence ? »
2666 comporte deux fils narratifs centraux, dont on peut imaginer les échos lointains. D’un côté, une petite bande d’universitaires se met en quête d’un mystérieux auteur allemand, né dans les années 1920, dont elle admire le talent. De l’autre, la ville fictionnelle – mais très proche de la terrible Ciudad Juárez – de Sainta Teresa est le théâtre d’une série de meurtres de jeunes ouvrières. Là aussi, une enquête se met en branle. La violence et la cruauté contemporaine de cette ville, à la frontière du Mexique et des États-Unis, rencontre celle, passée, de la Seconde Guerre mondiale.
« Je veux que 2666 soit pour le spectateur ce qu’il est pour le lecteur, énorme, infini, jouissif, pénible parfois. Je veux le concevoir comme une expérience totale, une traversée commune entre les acteurs et le public, en en gardant sa force et sa complexité. Il y aura entre dix et quinze interprètes au plateau qui seront, comme c’est toujours le cas dans notre travail, tour à tour musiciens, performers, narrateurs quand il le faudra, ou personnages. Je veux réunir tous les outils nécessaires à la tentative de somme théâtrale que nous faisons, dans la scénographie, dans la lumière, le son ou la vidéo », annonçait Julien Gosselin dans sa note d’intention.
Le pari est-il réussi ? Nous le vérifierons à la MC2 pendant l’une des longues – et gageons, intenses – journées pendant lesquelles se jouera cette somme théâtrale.
Adèle Duminy
INFOS PRATIQUES
2666, de Julien Gosselin
Samedi 14 janvier 11 heures
Dim 15 janvier 11 heuresGrand théâtre
Durée : onze heures trente(entractes compris)Partie 1 : une heure trente
Entracte : une heure
Partie 2 : une heure dix
Entracte : trente minutes
Partie 3 : une heure quarante cinq
Entracte : une heure
Partie 4 : deux heures
Entracte : trente minutes
Partie 5 : une heure quaranteTarif plein : 27 euros ; tarif réduit : 24 euros
Carte MC2 : 19 euros – carte MC2 + 13 euros
Dernière minute : carte MC2 + 9 euros