FOCUS — Depuis quinze ans, le site Nanarland, né à Grenoble, parcourt avec un succès croissant le monde étrange des nanars. Le second tome de leur Livre des mauvais films sympathiques, vient tout juste de sortir, accompagné d’autres projets tout aussi exaltants pour tous les amoureux de cinéma improbable.
Ratanouilles, Les Aventuriers du système solaire, Kiss contre les fantômes, Mon curé chez les thaïlandaises… Bien souvent, les titres des nanars sont des poème et des promesses à eux seuls. Ce sont ces titres, accompagnés de critiques croustillantes et d’analyses pertinentes, que l’équipe de Nanarland propose aux cinéphiles de découvrir dans leur deuxième tome du Livre des mauvais films sympathiques.
Tout comme le premier « épisode » sorti en mars 2015, ce nouvel opus se présente sous la forme d’une cassette VHS, un format qui n’a rien d’un hasard : c’est grâce à ce support que les amoureux de nanars purent découvrir des centaines de chefs‑d’œuvre, notamment au moment où les vidéos-clubs écoulèrent leurs stocks à vil prix. Nombre de ces films n’ont pas connu, et ne connaîtront sans doute jamais, de réédition en DVD. Inutile, dans ce cas, de rêver d’un portage en Blu-ray…
Le nanar n’épargne aucun genre
Fondé voici quinze ans par les grenoblois Régis Brochier, Fabien Mangione et Séverine Amato, le site Nanarland a depuis été rejoint par toute une équipe de passionnés de films improbables, et s’est inscrit dans un réseau, véritablement mondial, de collectionneurs de toutes ces œuvres à part qui constituent un pan du patrimoine cinématographique mondial.
Au programme de ce nouveau tome ? La science-fiction décalée, la politique-fiction, le film d’action gonflé à la testostérone, les comédies musicales et même les films pour enfants. Est-ce à dire qu’aucun genre n’échappe au nanar ? « Le nanar, c’est du cinéma par essence : tant qu’il y aura des gens qui prendront une caméra et taperont à côté, tant qu’il y aura des accidents, il y aura des nanars ! », juge Régis Brochier.
Aucune méchanceté dans la démarche
Mais le but d’un tel ouvrage, comme du site Nanarland, est-il de se moquer ? Certains réalisateurs n’ont pas apprécié de voir leurs œuvres considérées comme des nanars, une classification qui relève évidemment de la subjectivité. Pourtant, Régis Brochier comme ses compagnons l’affirment : il n’y a aucune méchanceté dans leur démarche.
« La question se pose par exemple pour le cinéma africain, certains films sont juste dans l’économie de moyens et on se demande si on peut en rire ou non. Mais oui, justement, autant en rire : cela permet aussi d’en parler. Ce sont des films qui en disent beaucoup », estime Régis Brochier. « En dix ans [dans les années 80, ndlr], il est sorti 400 films de kung-fu en France au cinéma, et les films érotiques c’était des millions de spectateurs… Ça plaisait, c’était populaire : ne plus en reparler, ce serait oublier le succès que ça a eu. »
Le kung-fu sera d’ailleurs à l’honneur du premier épisode de Nanaroscope, un autre projet de Nanarland en collaboration avec Arte Creative : une série de vidéos évoquant et décryptant les fleurons du nanar. C’est le film Samuraï Cop et son acteur principal, aussi lucide que sympathique, qui ouvriront le bal. Un premier épisode que les téléspectateurs pourront découvrir en janvier sur la chaîne culturelle. Preuve, une nouvelle fois, que le nanar a enfin acquis ses lettres de noblesse.
Florent Mathieu
LE NANAR, CHASSE GARDÉE DU CINÉMA ?
Voilà une vingtaine d’années, sinon plus, que le nanar jouit d’une popularité grandissante, à tel point que des producteurs financent aujourd’hui des “ faux nanars ”, pâles imitations censées convenir au plus grand nombre, que l’équipe de Nanarland comme d’autres chroniqueurs – notamment le Fossoyeur de Films – dénoncent volontiers. Mais le cinéma est-il la seule discipline artistique à trouver un public pour ses rejetons maudits ?
On imagine mal en effet un galeriste faire acte de second degré en affichant sur ses murs des croûtes improbables. Et si certaines oeuvres contemporaines ont de quoi faire sourire, les qualifier de “ nanar pictural ” serait outrancièrement subjectif et vaudrait de s’attirer les foudres d’une jungle de spécialistes qui, n’en doutons pas, connaissent leur affaire.
Jeux de mains, jeux de vilains
En littérature, qui consacre de précieuses heures à lire sciemment les mauvais romans oubliés de l’histoire, si ce ne sont les curieux compulsifs ou les étudiants en Lettres ? Qui ira lire, pour le plaisir, Charlot s’amuse (1883) de Paul Bonnetain, un roman naturaliste pompier qui dénonce les ravages de la masturbation ? – Et qui trouvera un intérêt littéraire à engloutir les textes indigestes consacrés aux déplacements du maréchal Pétain, signé par son agiographe officiel René Benjamin ?
Dans le domaine du jeu vidéo – le dixième art, pour certains –, les oeuvres tellement ratées qu’elles en deviennent sympathiques occasionnent rarement un engouement du grand public. Si des vidéastes comme The Angry Video Game Nerd ou, en France, le Joueur du Grenier ont participé à rendre populaires des mauvais jeux cultes (le E.T. de l’Atari 2600, ou encore le Superman de la Nintendo 64), les joueurs préféreront toujours user leurs joysticks sur de bons jeux, ou du moins considérés comme tels.
En musique, on notera que les mélomanes peuvent faire preuve d’une grande ouverture d’esprit, et d’oreille. Un projet comme le Portsmouth Sinfonia, porté par le remarquable compositeur Gavin Bryars, a ainsi rencontré un écho favorable : il consiste pourtant à massacrer des grands classiques de la musique savante en les livrant en pâture à des étudiants maitrisant mal leurs instruments. Pour autant, le nanar n’est ici qu’à moitié avéré, chacun connaissant parfaitement le caractère inaudible de sa prestation.
Les non-talents qui s’ignorent
Ce n’est pas le cas d’une dame comme Florence Foster Jenkins (1868−1944), convaincue de ses talents de chanteuse d’opéra, et dont les fausses notes compulsives ont fait l’objet de plusieurs enregistrements. Avant d’inspirer deux films : Marguerite, de Xavier Gioannoli en 2015, et Florence Foster Jenkins de Stephen Frears, sorti sur les écrans ce mois de juillet 2016.
Enfin, il serait injuste de ne pas citer le groupe The Shaggs, trio féminin composé de trois soeurs dont l’histoire de la formation – mi-comique, mi-tragique – serait trop longue à relater ici. Sorti en 1969, son disque Philosophy of the World se distingue par l’impréparation totale des interprètes, les sautes de rythme, les errements vocaux et les mélodies chaotiques qui le caractérisent.
L’album est aujourd’hui culte, considéré par certains – non sans humour, ni sans raison – comme une forme de prémices de la musique pop-rock expérimentale ou conceptuelle.
Il est vrai que Philosophy Of The World peut fasciner et envoûter, tant par la simplicité positive du message qu’il porte que par le caractère imprévisible de ses compositions, qui n’est pas sans rappeler certains moments de bravoure de la période post-punk.
Pour autant, force est de constater que le nanar demeure un objet de cinéma, une passion de cinéphile. Si toutes les disciplines – littérature, musique, peinture, sculpture, théâtre, etc. – sont susceptibles de produire des oeuvres d’une si mauvaise qualité qu’elles en deviennent attendrissantes, seul le cinéma semble capable de fédérer un tel engouement, et de remplir à craquer une salle de cinéma pour la projection d’un Samuraï Cop ou d’un Troll 2…