TROIS QUESTIONS A – La station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse change de mains. Le syndicat à vocation unique ayant été dissous après le rapport accablant de la chambre régionale des comptes, c’est la communauté de communes qui prend le relais. Le défi est de taille. Si le déficit reste à la charge des communes de l’ex-Sivu, l’endettement de la station risque de peser lourd. Fuite en avant ? Pour Denis Séjourné, président de Cœur de Chartreuse, il n’y a pas d’autres choix possibles.
Investissements mal maîtrisés, surcoûts, dépenses sous-évaluées et recettes sur-estimées, risque de conflit d’intérêts… La chambre régionale des comptes (CRC) a, dans son dernier rapport, et après deux avis budgétaires alarmants, sévèrement épinglé la gestion pour le moins hasardeuse de la station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse.
Suite à plusieurs années de dérapage plus ou moins incontrôlé, et de clignotants passant de l’orange au rouge, le préfet, saisi par la CRC, a décidé le 20 octobre dernier la dissolution du syndicat à vocation unique (Sivu) qui, depuis 2003, présidait aux destinées du domaine skiable de Saint-Pierre-de-Chartreuse/Le Planolet. Pour confier la gestion de la station à la communauté de communes.
Depuis le 3 novembre, l’établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) Cœur de Chartreuse* a repris la main sur le dossier. C’est lui qui gère sur le territoire tous les domaines skiables, celui de Saint-Pierre/Planolet comme du Désert d’Entremont ou du Granier. Exception faite de Saint-Hugues dont la gestion a été confiée, par délégation de service public, à une association. Le point avec son président Denis Séjourné.
Depuis le rapport de la chambre régionale des comptes, rendu public le 20 octobre 2016, tout s’est accéléré. Mais cette reprise en main arrive bien tardivement. Depuis plusieurs années, on savait la station de ski mal en point…
Depuis 2012, il y a des négociations avec les élus de Saint-Pierre-de-Chartreuse pour leur expliquer qu’ils ne peuvent plus continuer à gérer dans un tel contexte où non seulement les finances posent problème mais aussi la gouvernance. Le Sivu réunissait deux communes. Une structure à deux, ce n’est pas possible. Avec six élus en tout, quatre pour Saint-Pierre-de-Chartreuse, deux pour Saint-Pierre‑d’Entremont, qui l’emportait à votre avis quand ils n’étaient pas d’accord ? D’autant qu’il y avait des divergences de vue importantes au moins depuis 2012 entre les deux communes, tant sur la gestion au quotidien que sur la politique d’investissement.
En juillet 2014, la communauté de communes a une dernière fois rencontré le Sivu pour lui proposer une gestion à trois. Les élus de Saint-Pierre-de-Chartreuse ne l’ont pas souhaitée. La situation financière a continué de se dégrader jusqu’au coup de grâce de l’hiver dernier, très peu enneigé.
Comment on en est arrivé là ? On est ici sur de tout petits territoires, où on fait les choses entre nous. Pas toujours dans les règles. Tant que personne ne nous dit rien, ça va. Mais plus vous grossissez, plus on est vigilant sur ce que vous faites, les services de l’État, notamment. Et vous n’êtes pas à l’abri d’un habitant qui s’interroge sur les décisions prises par les élus. La gestion du Sivu n’était pas exemplaire dans ce domaine-là.
Cœur de Chartreuse reprend donc la station de ski, sans le déficit, de l’ordre de 600 000 euros qui reste à la charge des deux communes de l’ex-Sivu, mais avec une dette importante. Avec aussi des équipements, comme le télécabine qui date de 1982 que les magistrats financiers jugent « coûteux et ancien »…
La communauté de communes part de zéro. On récupère l’existant et le solde des emprunts, soit un capital restant dû de 2,4 millions d’euros (sur 3,6 millions d’euros empruntés, ndlr). Mais l’étude que l’on a confiée au cabinet MDP consulting est rassurante : la station et les équipements sont en bon état, la valeur du capital restant dû par rapport à la qualité des installations est dans les normes. Les installations pour les plus âgées ont certes un peu plus de trente ans mais, en France, des équipements ont quarante-cinq ans. Il n’y a pas urgence…
Le télécabine est un sujet sensible. En 2012, la décision de fermer le télécabine certains jours de la semaine hors vacances scolaires a coûté sa place au maire à l’époque. Le cabinet va nous proposer des scénarios d’ouverture en fonction de l’enneigement, des vacances scolaires et des jours de la semaine. On aura la réponse début 2017 pour une application la saison prochaine.
Mais les marges de progression ne sont pas que sur le télécabine. Grâce au soutien du Département de l’Isère, on investit 200 000 euros d’ici la fin de l’année pour améliorer l’accueil dans la station et la neige de culture, avec deux enneigeurs artificiels sur le Planolet où l’exposition permet de sécuriser une piste sans problèmes**.
Par la suite, il est prévu de déposer un dossier auprès de la Région (le Conseil régional a annoncé 200 millions d’euros sur six ans pour la neige de culture, ndlr) et auprès du Département qui, à chaque euro mis par le Conseil régional, prévoit d’abonder à hauteur d’un euro. Et un plan pluriannuel d’investissements sur cinq ans va être arrêté.
Cela peut aussi s’apparenter à une fuite en avant. Au final, on continue d’investir toujours plus alors que l’on sait, avec le changement climatique, que le ski est plus ou moins condamné à disparaître en moyenne montagne***. N’y a‑t-il pas d’autres solutions ?
Comme pour une entreprise, il peut être difficile de poursuivre une activité mais il est encore plus difficile de redémarrer quand ça s’est arrêté. Il vaut donc mieux tout faire pour continuer. La station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse, c’est soixante salariés directement concernés et on estime à 450 le nombre d’emplois directs et indirects. On ne peut pas dire « on arrête et on va prendre le temps de réfléchir ». Il faut mouiller la chemise. Mais cela a été compliqué… Le directeur d’exploitation, mis en cause par la CRC, a démissionné****. Il a fallu trouver quelqu’un d’autre qui soit assermenté.
De toute façon, démonter a un coût. Si on arrête tout, on récupère tout juste notre capital restant dû et on a un désert derrière. Aujourd’hui, on ne remonte plus une station de ski. Seuls les Chinois font ça. Pour mettre en état de fonctionnement la station avant l’ouverture, c’est 300 000 euros. Si la communauté de communes n’avait pas repris la station, Saint-Pierre-de-Chartreuse n’ouvrait pas.
Tout le monde est conscient que la Chartreuse sans le ski alpin, ce n’est pas possible. Notre volonté est de développer un tourisme quatre saisons, et surtout un tourisme d’hiver sans neige. Qu’est-ce qu’on propose à la place ? Du VTT, du paddle tennis, une patinoire artificielle, des pistes de luge artificielle ?
Aujourd’hui, le business du ski alpin par rapport au tourisme d’hiver, ce doit être 95 ou 97 % des recettes. Qu’est-ce qu’on fait pour que, dans dix ans, ce ne soit plus que 70 %, et dans vingt ans 60 % ?
Je ne sais pas si l’enneigement va réellement baisser dans les vingt ou trente ans mais ce que l’on sait, c’est que tous les cinq ou six ans, on a une année sans neige. Et cette année-là, il faut l’éponger…
Et on va investir intelligemment. On ne mettra pas des enneigeurs n’importe où, n’importe comment. Il y a des critères comme l’altitude corrélée à l’exposition, aux vents… Il ne faut pas rêver, on ne pourra pas mettre des enneigeurs à 600 mètres d’altitude plein sud !
Patricia Cerinsek
* L’Epic est composé de sept élus : un pour chacune des trois communes équipées d’une station de ski (Entremont-le-Vieux, Saint-Pierre-de-Charteuse, Saint-Pierre‑d’Entremont) et quatre élus communautaires de communes non dotées de stations.
** La station, dont l’ouverture est prévue le 17 décembre, a revu ses tarifs. Les forfaits à la journée ont, par exemple baissé de 2 euros. Des nocturnes sont également prévues dès cet hiver.
*** Selon une étude de l’Observatoire régional des effets du changement climatique (ORECC), « l’utilisation de la neige de culture au-delà d’une altitude de 1 325 mètres nécessite que sur une période d’un peu plus de quatre jours consécutifs la température soit inférieure à 2 °C. Les relevés effectués au col de Porte au cours des soixante dernières années montrent que de telles périodes sont de plus en plus rares, notamment avant le 10 janvier et après le 11 février, ce qui tendrait à limiter la période au cours de laquelle la neige de culture pourrait être produite ».
**** En 2012, la fonction de direction a été externalisée et confiée à M. Mellet. Or, relève la CRC, le directeur d’exploitation était également cogérant d’une société à laquelle le Sivu a notamment confié des prestations sans mise en concurrence pour des montants de 138 322 euros en 2013 et 51 185 euros en 2014.
UN ENDETTEMENT IMPORTANT
Le rapport de la chambre régionale des comptes est cinglant. Il vient en tout cas mettre un terme à la gestion, pour le moins aventureuse, du syndicat à vocation unique qui gérait depuis 2003 la station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse/Le Planolet.
Les magistrats y pointent notamment, sur la période examinée, des investissements mal maîtrisés et notamment le projet d’aménagement du Planolet qui, à lui seul, a englouti plus de 57 % des investissements sur la période 2010 – 2014 : 3,84 millions d’euros ont ainsi été engagés sur cette seule opération. La CRC pointe aussi des surcoûts. Ainsi, les travaux sur le téléski du Coq et le télésiège des Fraisses ont-ils coûté 2,2 millions d’euros, soit le double de ce qui avait été mandaté. Dépenses sous-évaluées, recettes sur-estimées… En 2014, le compte administratif présentait un déficit de 28 % des recettes d’exploitation. Et, en 2015, le budget, déficitaire de 458 000 euros, était voté en déséquilibre.
D’autant que rien n’a été fait, notent les magistrats, pour corriger l’endettement. La station a dû emprunter 3,6 millions d’euros ? Il lui reste encore 2,6 millions d’euros à payer. « La capacité de désendettement atteint 18 ans, note la CRC, soit le double de la durée usuellement considérée comme critique ».