Réhabilitation urbaine de la Villeneuve à Grenoble par l'Anru. © Christiane Guiraudie

Face aux démo­li­tions, défen­dons Villeneuve !

Face aux démo­li­tions, défen­dons Villeneuve !

TRIBUNE LIBRE – Il y a quelques mois, le pré­fet de l’Isère a annoncé que la réha­bi­li­ta­tion des copro­prié­tés de l’Arlequin était condi­tion­née à la démo­li­tion d’un immeuble : le 160 gale­rie de l’Arlequin. Visiblement, les pra­tiques auto­ri­taires du pré­fet, qui a tou­jours ses salons dans un bâti­ment datant du second empire – l’é­poque du Baron Haussmann –, sont reve­nues au goût du jour. Pour preuve, trois ans après la des­truc­tion du 50 gale­rie de l’Arlequin, l’État exige de nou­velles démo­li­tions à la Villeneuve : non seule­ment le 160 gale­rie de l’Arlequin mais il envi­sage éga­le­ment la démo­li­tion du 90 gale­rie de l’Arlequin, où se trouvent les ser­vices publics du Patio, la mai­son des habi­tants, la biblio­thèque, l’Espace 600, la Maison de l’Image… Sont-ils deve­nus fous ?

David Gabriel Bodinier, membre de l’Atelier populaire d’urbanisme. © Séverine Cattiaux

David Gabriel Bodinier, membre de l’Atelier popu­laire d’urbanisme. © Séverine Cattiaux

DAVID GABRIEL BODINIER

Socio-urba­niste, membre de l’Atelier popu­laire d’urbanisme (Apu), David Gabriel Bodinier est coau­teur du livre « Plaidoyer pour Villeneuve – Pouvoir d’a­gir et pla­ni­fi­ca­tion démo­cra­tique face à la réno­va­tion urbaine de l’Arlequin », Paris, Éditions du Plan urba­nisme, construc­tion, archi­tec­ture (Puca), « Recherche » n°231, 2016. Cette recherche s’ins­crit dans le cadre du pro­gramme « Le Hors Champ de la pro­duc­tion urbaine » du Puca.

On se sou­vient que la « per­cée du 50 » avait été impo­sée par l’État et la muni­ci­pa­lité de Michel Destot, dans la fou­lée de l’in­ter­ven­tion sécu­ri­taire de l’État 2010 et du tris­te­ment célèbre “dis­cours de Grenoble”. Mais elle avait été for­te­ment com­bat­tue par les habi­tants à tra­vers le col­lec­tif anti-démo­li­tion, le col­lec­tif Vivre à Villeneuve et Villeneuve Debout.

Suite à une lettre à la ministre Cécile Duflot, cette mobi­li­sa­tion avait donné nais­sance à un Atelier popu­laire d’ur­ba­nisme (Apu) qui avait éla­boré col­lec­ti­ve­ment un pro­jet urbain stra­té­gique et démo­cra­tique. Certains pro­fes­sion­nels s’é­taient éga­le­ment posi­tion­nés contre les démo­li­tions, notam­ment les archi­tectes Lacaton & Vassal. Dans leur mani­feste, ils écri­vaient : « le carac­tère d’ex­cep­tion de l’Arlequin demeure […]. Il s’a­git de répondre loca­le­ment à des élé­ments qui posent pro­blèmes, d’a­jou­ter, com­plé­ter, amé­lio­rer pour lui don­ner une valeur opti­male, sans mas­si­ve­ment démo­lir, sans ampu­ter. Ne pas démo­lir pour évi­ter de détruire le sys­tème urbain qui, glo­ba­le­ment, reste une alter­na­tive valide à l’ère du déve­lop­pe­ment durable. Réinterpréter, amé­lio­rer, cor­ri­ger. Aussi parce que chaque loge­ment est pré­cieux, comme chaque équi­pe­ment. On peut tou­jours ré-uti­li­ser, re-cycler, re-pro­gram­mer les acti­vi­tés ou de nou­velles fonc­tions et ser­vices. »

Tout le monde pen­sait le temps des pro­jets urbains auto­ri­taires révolu

Le pro­jet stra­té­gique et démo­cra­tique de l’Atelier popu­laire d’ur­ba­nisme (Apu) et le pro­gramme esquissé par Lacaton & Vassal devait ser­vir de base à la nou­velle muni­ci­pa­lité pour ima­gi­ner le deve­nir de Villeneuve. Tout le monde pen­sait que le temps des pro­jets urbains auto­ri­taires était révolu. On se sou­vient que la cam­pagne muni­ci­pale avait été mar­quée par de fortes mobi­li­sa­tions des habi­tants pour dénon­cer le manque de démo­cra­tie locale, en par­ti­cu­lier dans les pro­jets d’urbanisme.

La nou­velle équipe muni­ci­pale avait prôné le « pou­voir d’a­gir des habi­tants », la trans­pa­rence des don­nées publiques et la co-construc­tion des pro­jets d’ur­ba­nisme. Elle annon­çait une autre manière de faire de la poli­tique. Enthousiaste, l’Atelier popu­laire d’ur­ba­nisme avait orga­nisé, dans les mois sui­vants, une semaine de la co-construc­tion ras­sem­blant des cen­taines de per­sonnes pour dis­cu­ter du nou­veau pro­jet urbain de la Villeneuve. Après le départ de l’ur­ba­niste Yves Lion, l’Apu avait éga­le­ment favo­ra­ble­ment accueilli la nou­velle équipe de professionnels.

L’histoire se répète

La co-construc­tion du nou­veau pro­jet pour la Villeneuve était une exi­gence démo­cra­tique pour répa­rer les dégâts cau­sés par les dis­cours irres­pon­sables, les repor­tages à charge des médias et les actes auto­ri­taires. Et pour­tant, l’his­toire se répète : une nou­velle fois, l’État pour­suit sa logique des­truc­trice et tech­no­cra­tique, sans prendre en compte ni la réa­lité locale, ni les nom­breuses études réa­li­sées à la Villeneuve qui montrent que les démo­li­tions sont inutiles et coû­teuses. Si l’ob­jec­tif est d’a­mé­lio­rer le quo­ti­dien des habi­tants, les prio­ri­tés sont ailleurs : réno­ver les écoles, réno­ver les équi­pe­ments, amé­lio­rer l’es­pace public, réno­ver ther­mi­que­ment les immeubles, amé­lio­rer la for­ma­tion et l’é­co­no­mie productivo-résidentielle…

Pour faire face aux démo­li­tions, les habi­tants ont lancé le 28 sep­tembre 2016 une mobi­li­sa­tion col­lec­tive. Toutes les orga­ni­sa­tions, asso­cia­tions et mou­ve­ments qui sou­haitent appor­ter leur sou­tien sont les bien­ve­nues. Quant aux élus de la Ville de Grenoble, ils doivent res­pec­ter le man­dat qui leur a été confié et défendre Villeneuve. Ils doivent annon­cer publi­que­ment que l’a­ve­nir de ce ter­ri­toire se décide à Grenoble, avec les habi­tants, et non pas dans les bureaux de l’Anru, à Paris, avec quelques tech­ni­ciens. Ils doivent refu­ser les démo­li­tions et dénon­cer le chan­tage de l’État qui condi­tionne l’ac­cès aux res­sources publiques aux démo­li­tions. Ils ont avec eux la loi de février 2014, dite loi Lamy, qui impose le prin­cipe de co-construc­tion dans le cadre des pro­jets urbains dans les quar­tiers “poli­tique de la ville”.

Hubert Dubedout avait déjà du tenir tête à l’État

Ils ont éga­le­ment avec eux l’Histoire. Une ving­taine d’an­nées avant les lois de décen­tra­li­sa­tion, Hubert Dubedout avait déjà du tenir tête à l’État pour que l’ur­ba­ni­sa­tion de Grenoble vers le Sud soit réa­li­sée par le pou­voir local et non l’État. Pour cela, il s’é­tait entouré d’une coopé­ra­tive d’ur­ba­nistes, d’ar­chi­tectes, de pay­sa­gistes et de socio­logues – l’Aua – qui sera à l’o­ri­gine… de la Villeneuve. Ils crée­ront éga­le­ment la pre­mière agence d’ur­ba­nisme de la région gre­no­bloise (AURG)…

Alors que nous assis­tons à un retour du diri­gisme éta­tique en matière d’ur­ba­nisme dans les quar­tiers “poli­tique de la ville” – une nou­velle gou­ver­ne­men­ta­lité qui touche en pre­mier lieu les habi­tants des quar­tiers popu­laires qui subissent la Crise, l’État d’Urgence et l’Austérité impo­sée – les élus de Grenoble doivent rejoindre le mou­ve­ment des habi­tants en refu­sant les démo­li­tions pour défendre Villeneuve, la jus­tice sociale et le Droit à la ville !

***

* Rappel : Les tri­bunes publiées sur Place Gre’net ont voca­tion à nour­rir le débat et contri­buer à un échange construc­tif entre citoyens d’o­pi­nions diverses. Les pro­pos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opi­nions des jour­na­listes ou de la rédac­tion et n’engagent que leur auteur.

Vous sou­hai­tez nous sou­mettre une tri­bune ? Merci de prendre au préa­lable connais­sance de la charte les régis­sant.

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