REPORTAGE – Le quartier Saint-Bruno se faisait une beauté mercredi 27 juillet à l’occasion d’une soirée conviviale. Les habitants étaient ainsi invités par la Ville de Grenoble et les associations à le réinvestir dans son ensemble et plus particulièrement sa place centrale. Un moment ludique, sur fond de préoccupations sociales lourdes de sens.
« L’idée, c’est de redonner vie à la place Saint-Bruno. De permettre aux gens, et surtout aux familles, de venir. » Véronique Vic, agent de développement local attachée à la Maison des habitants Chorier-Berriat, décrit ainsi l’objectif de la soirée conviviale que les services de la Ville organisaient place Saint-Bruno mercredi 27 juillet.
Baptisé « Saint-Bruno se fait une beauté », l’évènement participatif proposait aux habitants de prendre part à diverses activités numériques ou culturelles, ou simplement d’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles sur les différentes installations artistiques ou musicales.
Daniel, joueur d’orgue de Barbarie, aura bataillé contre le vent soutenu sur la place, pour interpréter quelques-uns des plus beaux standards de la chanson française. Hubert, à l’abri des éléments, invitait pendant ce temps les curieux à participer à la conception de mandalas. Des mandalas un peu particuliers puisque faits de bouchons de bouteilles destinés à l’association Bouchons d’amour, venant en aide aux personnes handicapées.
Le vivre-ensemble ? « Un travail de longue haleine »
Mais au-delà des individus, le tissu associatif du quartier Saint-Bruno est également de la fête. Urban Expo propose ainsi aux visiteurs son exposition Vinyles Folies, travail pictural et photographique utilisant comme support des disques vinyles.
De l’autre côté de la place, c’est l’atelier « photo morphing » (consistant à mélanger par ordinateur deux visages pour en créer un troisième) animé par l’association L’Âge d’or qui rencontre un franc succès. En particulier auprès des enfants, nombreux sur la place, qui répondent aussi présent quand il s’agit de dessiner. Ou, mieux encore, de jouer de la bombe en taguant de grandes bâches dressées pour l’occasion.
Résolument ludique, la fête de quartier n’en garde pas moins des objectifs sociaux et sociétaux marqués. Véronique Vic le dit clairement : « C’est un souhait de la Ville de Grenoble que la place soit réinvestie par les habitants. » Et la chargée de développement de décrire une place peu investie… si ce n’est par les dealers.
Saint-Bruno en déficit de « vivre-ensemble » ? « Il y est, mais il est trop timide, regrette Véronique Vic. Il se crée seulement si l’on crée l’occasion. Petit à petit, les partenaires et les associations ont envie de réinvestir la place et de vivre avec les gens. C’est un travail de longue haleine qui doit se faire dans la discussion et la concertation. »
« On dirait qu’il y a le Sud et le Nord »
Ce n’est donc pas un hasard si Sonia Yassia, conseillère municipale déléguée au secteur 1, et Éric Piolle en personne ont marqué de leur présence cette fête de quartier pas tout à fait comme les autres.
Un maire de Grenoble par ailleurs très sollicité. En particulier par des jeunes du quartier, avec qui il discutera pendant près d’un quart d’heure dans une atmosphère souriante et détendue.
C’est à l’invitation de Mohamed Habbouche, chargé de mission pour l’association Cap Berriat, que cette rencontre et ce dialogue ont pu se faire. Il n’en dresse pas moins un portrait désenchanté de la situation : « On dirait qu’il y a le Sud et le Nord. Je sens cela dans le discours général, ça transpire même dans la municipalité. Et nous, nous cherchons justement à décloisonner. Nous voulons une unité, surtout avec ce qui se passe. »
Quand un jeune habitant fait remarquer à Éric Piolle qu’il a voté pour lui, Mohamed s’en étonne presque. « Ça peut être la honte de dire au milieu du groupe que l’on est allé voter. Ça peut faire de vous un has-been ! »
« Avant, à Mistral, je voyais les affiches politiques durant les périodes de scrutin se faire déchirer. Aujourd’hui, elles sont intactes. Alors je me pose la question : soit la prévention de la délinquance est impeccable et empêche les jeunes de déchirer les affiches, soit le fossé s’est tellement creusé qu’ils ne les voient même plus », ironise-t-il avec une certaine amertume.
Sortir de « cette logique de barrières imaginaires et infranchissables »
Le « vivre-ensemble », pour lui ? Encore une fois, Mohamed Habbouche veut décloisonner les quartiers. « À Saint-Bruno, il n’y a personne pendant toute l’année : pas d’éducateurs, pas de correspondants jeunesse, et les associations mettent la clé sous la porte. »
Sans contester l’importance des aides apportées aux quartiers prioritaires, et notamment à la Villeneuve, il n’en plaide pas moins pour un meilleur équilibre. « Si on concentre tout sur un quartier, le jeune ne va plus en sortir… »
Une volonté de décloisonner que semble partager le maire, tout en réfutant cette idée de « frontières » au sein de Grenoble. « Notre logique, c’est de ne pas véhiculer ce regard quartier par quartier. On a la chance d’avoir une ville extrêmement compacte, on ne peut pas rester dans cette logique de barrières imaginaires et infranchissables. »
« Cela se traduit dans notre conception des services publics, poursuit le maire. Il faut penser la proximité. C’est normal de faire dix minutes pour aller à son école primaire, mais ce n’est pas gênant d’en faire vingt ou trente pour aller à son collège, pour aller à la piscine… C’est ainsi qu’une ville est fluide et se mélange. On peut se déplacer partout. On est chez nous partout. »
Certains ont pourtant la sensation que, sur la place Saint-Bruno, ce sont surtout les dealers qui sont chez eux. « C’est un des lieux où il y a du deal au vu et au su de tous, concède Éric Piolle. Cette privatisation de l’espace public passe par ces points de deal ostentatoires. Cela fait partie des choses que nous faisons remonter au préfet, que l’on fixe et que l’on examine en priorité. »
Vivre ensemble, faire ensemble
Le maire de Grenoble, à l’instar de Véronique Vic, souligne la nécessité pour les habitants de se réapproprier leur quartier. Et de citer comme exemple le projet d’amélioration du square Saint-Bruno, lauréat de l’édition 2015 du budget participatif de la Ville. « On partage quelque chose en faisant quelque chose », conclut Éric Piolle.
Un « faire ensemble » corollaire du « vivre ensemble » qui résonne d’une manière particulière au sein du quartier Saint-Bruno, où les relations entre la Ville et l’Association du centre social Chorier-Berriat ont été souvent houleuses, sur fond de baisses drastiques de subventions.
Tout comme l’ont été les échanges avec l’union de quartier Saint-Bruno. Son président Bruno de Lescure – qui préside aussi l’association Vivre à Grenoble – manque ainsi rarement une occasion de tacler la municipalité. Quitte à déplacer de temps en temps des jardinières qui l’incommodent…