FOCUS – Alors que Nuit debout vient de déposer sa pétition auprès de la Ville pour cultiver des fruits et légumes dans les espaces urbains, en prévision du conseil municipal du 11 juillet, d’autres initiatives citoyennes ou municipales du même type ont d’ores et déjà vu le jour. Zoom sur le projet Essen’Ciel, verger partagé urbain, qui fête sa première année d’existence.
En ce soir de juillet, le petit jardin de la rue Ampère, situé derrière le parking-relais du pont de Catane, est animé. En l’espace d’une année, cet ancien terrain vague s’est transformé en verger collectif urbain, baptisé Essen’Ciel.
C’est à l’occasion de son premier anniversaire, ce 3 juillet 2016, que l’on retrouve ses jardiniers, des voisins et même Eric Piolle, maire de Grenoble, tous réunis dans une ambiance très conviviale. Au programme de cette soirée : visite du verger, des plantations et dégustation de plats faits maison.
« J’ai découvert que notre maire avait la main verte ! », s’amuse Damien, un des participants du verger l’Essen’Ciel, en rappelant que l’année dernière, lors de l’inauguration du verger, Eric Piolle avait planté des haricots. « Je l’ai découvert aussi ! », s’amuse l’intéressé avec un grand sourire. Qui précise qu’il n’a pas du tout l’habitude de jardiner, contrairement à son épouse qui « jardine beaucoup ».
Les initiatives citoyennes de plantation semblent enchanter le maire. Et celui-ci de souligner, au passage, le manque d’espaces verts dans la ville, tout en saluant les initiatives « même anarchiques » de végétalisation. Entendez Légumes debout.
Un peu d’histoire
Le verger Essen’Ciel a été initié par la mairie de Grenoble en octobre 2014. La première réunion a ressemblé une trentaine d’habitants et « le noyau dur » du projet réunit aujourd’hui environ quinze personnes de tous les âges. Les participants soulignent avant tout l’importance de la dimension sociale du verger, qui leur a permis de se retrouver autour d’une activité commune.
Avant les premières plantations sous l’égide du service des espaces verts de la Ville, les services techniques ont changé la terre sur un mètre de profondeur. Ensuite, quatorze arbres fruitiers ont été plantés en décembre 2014. Le verger compte également aujourd’hui des arbustes et des plantes aromatiques. Géré par un collectif d’habitants, l’Essen’Ciel est ouvert à tous et ses récoltes accessibles au public.
« Sentir qu’on apporte notre petite graine »
« Dans les projets de jardins partagés, il y a la dimension de “produire”, mais surtout la dimension humaine de se sentir une partie d’un groupe », estime Marie Arnould, membre du verger Essen’Ciel et rédactrice en chef de la revue Les 4 saisons du jardin bio. « On a besoin de faire des choses constructives et d’apporter notre petite graine à notre niveau. Le lien social créé par ce type de projet est une évidence. Pour moi, c’est la plus-value majeure. »
Bien qu’étant membre active du verger partagé, Marie Arnould ne s’est pas encore beaucoup nourrie grâce à ce potager mais les plantations collectives ont réuni des habitants du quartier qui organisent régulièrement des “apéros” et qui échangent avec des passants curieux.
Autre valeur ajoutée de ces initiatives citoyennes de jardinage collectif, une double « prise de conscience ». Premièrement, comme l’indique Sylvie, l’initiatrice de Légumes debout, « il faut faire prendre conscience aux gens que l’espace public nous appartient ».
Deuxièmement, comme le précise Marie Arnould, « c’est réaliser qu’on ne peut pas dépendre complètement de l’extérieur dans tout et qu’on peut se réapproprier notre nourriture ». « Souvent, la logique des gens qui habitent dans la ville est “On est des consommateurs”. Et, en réalité, on n’est jamais acteurs », déplore-t-elle. Même si la mairie initie et soutient des projets de ce genre, elle ne peut pas tout impulser. Les autorités ont besoin d’une société civile qui montre de quoi elle a envie. C’est donc très bien que les gens s’approprient les espaces urbains. »
« Ce projet peut susciter des réactions d’incompréhension »
Tout n’est pas rose cependant. Les projets de jardins partagés ont des contraintes et suscitent même des réactions méfiantes et hostiles. Des participants aux actions de Légumes debout ont ainsi constaté que certaines de leurs premières plantations dans le quartier de Bonne avaient été arrachées. Vandalisme ? Signes de colère ? D’incompréhension ? Comment expliquer ces réactions négatives ?
« D’abord, ces projets peuvent paraître utopiques, pense Marie Arnould. Dans le verger Salengro, les participants ont dû replanter une fois les arbres et deux fois les arbustes car leurs premières plantations avaient été arrachées. Ce projet peut susciter des réactions d’incompréhension car il remet en cause des habitudes. Certains étaient habitués à lâcher leurs chiens dans ces espaces…
D’autres trouvent complètement inintéressant de faire pousser des légumes alors qu’on les trouve sous plastique dans un supermarché et que c’est bien plus pratique. Il s’agit d’un changement profond, donc il y a des résistances. Ces projets doivent faire leurs preuves sur le long terme. »
Reste que la première contrainte demeure l’assiduité. Il faut retourner régulièrement sur les lieux de plantation, arroser les plantes et… ne pas baisser les bras à la première difficulté venue.
Autre aspect à prendre en considération avant de commencer les plantations : la pollution. Il y a quelques années, la ville de Grenoble avaient ainsi demandé aux citoyens de cesser leurs cultures le long du parc Pompidou, suite à une analyse du sol révélant une pollution importante.
« Il y a des tas de jardins partagés à Grenoble et tout pousse très bien ! », tempère toutefois Marie Arnould. Si vous avez de la bonne terre et que vous apportez le compost, ce n’est pas parce que la terre est un peu polluée que cela va vous empêcher d’avoir des légumes. Entre des tomates hors-sol gavées de pesticides et des tomates réalisées en bio dans des jardins de ville, je pense que la balance penche vers des tomates cultivées en bio. »
Vers l’auto-suffisance ?
Les projets citoyens de plantation de comestibles dans les espaces urbains peuvent-ils aboutir à terme à l’auto-suffisance alimentaire ? Marie Arnould n’y croit pas. « Il faudrait pour cela impliquer les campagnes environnantes. » Et celle-ci de citer l’exemple des micro-fermes travaillant avec les techniques d’intensification. « Avec ce savoir-faire retrouvé, ils arrivent à produire un chiffre d’affaires de 57.000 euros en un an sur 1000 mètres carrés. » Soit un chiffre d’affaires correspondant à un hectare, un espace dix fois plus grand. « On est aussi en train de découvrir qu’on peut faire du maraîchage intensif avec le bio. »
En Angleterre, une ville a pu fortement progresser sur le plan de l’auto-suffisance alimentaire grâce à une sensibilisation au jardinage, à la consommation responsable et au bio. Le nom de cette commune ayant vu naître l’initiative Increadible Edibles (Incroyables comestibles) ? Todmorden. Ses habitants, situés dans une région pauvre du nord de l’Angleterre, se sont mis à se vendre des produits alimentaires les uns aux autres, relocalisant petit à petit la production.
« Il y a d’énormes progrès à faire chez nous, donc faisons-les !, s’enthousiasme Marie Arnould. Après, que l’on soit auto-suffisants ou non, peu importe. Il vaudra toujours mieux produire un petit peu sur place que tout importer. »
Yuliya Ruzhechka