REPORTAGE – Les habitants des quartiers de la Bajatière et d’Abbaye-Jouhaux sont désabusés, tristes et inquiets. La Ville retire en effet ses services de la maison des habitants Bajatière. Adieu soutien scolaire, médiation familiale, « pauses café », sorties familles ? Peut-être pas, mais sans doute pas dans les mêmes conditions. Les tractations sont en cours avec l’association AUESC Bajatière.
« Vous nous retirez tout ce que l’on a ! Ce n’est pas juste ! », lance, dépitée, Fatima, assistante maternelle, à l’endroit d’Élisa Martin, première adjointe. La maison des habitants de la Bajatière, 65 avenue Jean Perrot (secteur 4) est en effet dans le viseur du plan d’économies de l’équipe municipale.
Le 9 juin dernier, Eric Piolle a annoncé un plan d’austérité. Tous les services publics de Grenoble sont touchés. Et le secteur social. Et la MDH Bajatière. La municipalité veut-elle fermer l’équipement ? Non. Juste quitter le navire et confier le gouvernail à l’association AUESC Bajatière (AUESCB). Du point de vue de la Ville, l’affaire est, en tous les cas, pliée.
L’association connaît déjà très bien les lieux, puisqu’elle y a son siège. L’AUESCB gère la halte garderie Les Loupiots, les secteurs Jeunesse et Enfance (soit la Maison de l’enfance, bâtiment voisin de la MDH). Une équipe de 14 salariés à temps partiel travaille à son service. Les liens entre la MDH Bajatière et l’association sont très étroits, au point de partager la même directrice.
Si la reprise en main des missions de la Ville par l’association semble évident pour Élisa Martin et Alain Denoyelle, adjoint à l’action sociale, l’idée ne réjouit guère l’association, dont les forces bénévoles sont déjà au taquet.
« Il ne faudrait pas qu’on coule notre association ! »
La présidente de l’association AUESC Bajatière, Dominique Vieu, ressent comme la désagréable impression d’avoir le couteau sous la gorge… « Nous ne sommes que des bénévoles qui consacrons beaucoup de temps déjà à nos activités. Envisager, en plus, que nous prenions l’agrément “centre social”… C’est prendre beaucoup d’engagements. Nous deviendrions l’un des plus gros centre social associatif de France. »
De quoi inciter à la réflexion… « Il ne faudrait pas qu’on coule notre association pour avoir pris une gestion au-dessus de nos moyens humains et financiers », prévient-elle.
Le 23 juin dernier, l’association a convié les élus à son conseil d’administration. Élisa Martin, Alain Denoyelle, Thierry Chastagner, élu du secteur 5, René de Ceglié, élu du secteur 4 étaient présents pour expliquer leur vision des choses. « Tous les administrateurs ont à présent le même niveau d’information » souligne Dominique Vieu, encore très surprise de la tournure soudaine des événements.
« On ne tarissait pas d’éloges, il y a encore peu de temps sur notre cogestion de la MDH, avec la Ville. Et là, la Ville se retire sans nous avoir avertis ! Je ne vous cache pas que la confiance est quelque peu émoussée… »
« J’ai trouvé ici une famille de substitution »
Ce soir-là, les habitants du secteur se sont également donné rendez-vous vers 19 h 30 pour manifester leur mécontentement et alpaguer les élus au passage. « Nous sommes d’abord tristes car des agents de la Ville sont des personnes que nous apprécions, avec qui nous sommes en confiance », affirme Samira. Or les habitants ont appris qu’ils allaient partir. Fathia, quasi en larmes, se sent littéralement abandonnée : « J’ai trouvé ici une famille de substitution. »
Elle et ses deux enfants, dont l’un est handicapé, fréquentent l’équipement. Fathia vient en particulier trouver un soutien psychologique auprès de l’assistante sociale de la MDH.
Nebia et Corinne – deux autres agents de l’équipe « centre social » gérée par la Ville –, organisent, elles, le soutien scolaire (une vingtaine d’enfants sont concernés), les temps parents-enfants, les sorties familles, etc. Elles ont noué des liens avec une quarantaine de familles. Les enseignants de l’école Abbaye-Jouhaux n’imaginent pas comment ils pourraient se passer de leur travail. « Nous nous concertons en début d’année pour repérer les élèves en difficulté et qui ne peuvent pas travailler à la maison », explique l’un des trois instituteurs, venus au rassemblement.
« On n’arrête pas la publicité, quand on n’a pas les moyens ! »
Membre d’un collectif de parents délégués et des habitants du quartier, Abdel est l’un des organisateurs du rassemblement. Il a peine à croire, lui aussi, que la Ville puisse quitter la MDH.
« Depuis un an, nous menons des projets intéressants avec l’aide d’un agent de la MDH très efficace », commente Abdel. Grâce à cet agent, les habitants ont pu mettre en place un vide-grenier, une formation aux gestes de secours. Un autre projet est sur les rails : aider les jeunes du quartier à trouver des stages et des emplois… Verra-t-il le jour ?
« L’austérité, on sait que les élus doivent la gérer… déclare Abdel. Mais de là où on se situe, on voit qu’il y a des dépenses irrationnelles, comme la fête des Tuiles. Et surtout on n’arrête pas la publicité [fin du contrat avec Decaux, ndlr] quand on n’a pas les moyens.
Et les totems [qui remplacent temporairement l’affichage Decaux, ndlr] auraient coûté 200.000 euros ! […] Tout le monde voudrait vivre dans une ville avec des petits arbres et du confort visuel, mais pas si les quartiers doivent payer la facture sociale ! J’ai voté pour cette municipalité et je me retrouve, à contre-cœur, dans le camp des opposants… »
L’AUESCB doit à présent se décider
En se retirant de la MDH, la Ville fait l’économie d’une équipe de cinq agents qui seront répartis dans d’autres services ou équipements. « L’économie serait de 80.000 euros par an. On se demande si les bénéfices générés valent le coup », doute Dominique Vieu.
Pour faciliter le recrutement de futurs personnels dont aurait besoin l’association – si elle reprend l’activité « centre social » de la Ville – la municipalité pourrait mettre à sa disposition, un ou deux agents…
L’AUESCB doit à présent se décider et en toute vraisemblance négocier un certain nombre d’éléments avec la Ville, laquelle est particulièrement dure en affaires. L’association attend, en effet, depuis quelques temps déjà, que la municipalité se prononce sur le dossier de la Halte-Garderie Les Loupiots.
Pour équilibrer le budget de cette structure, l’association AUESCB envisageait de l’agrandir mais les travaux coûteraient trop cher à la Ville. « On demande donc une aide supplémentaire de 12.000 euros à la municipalité pour équilibrer nos comptes », indique Marc Mallet, trésorier de l’association. L’AUESCB n’abordera pas le projet de reprise, sans classer d’abord ce dossier-là, dixit la présidente.
Séverine Cattiaux
N.B. du mercredi 6 juillet 16 h 30 : Élisa Martin nous fait savoir, suite à la parution de l’article, qu’ « un poste d’ADL [agent de développement local, ndlr] continuera à être dédié à ce secteur » et que « des actions comme le soutien à l’organisation d’un vide-grenier seront maintenues ».