REPORTAGE – Interpellé par les forces de l’ordre lors d’une énième manifestation contre la loi El Khomri ce jeudi 23 juin, un manifestant a été jugé dès le lendemain en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Grenoble, pour outrages envers des policiers et menaces à l’encontre du directeur départemental de la sécurité publique. Verdict de la cour : huit mois d’emprisonnement, dont cinq assortis d’un sursis.
« Mes mots ont dépassé ma pensée, j’étais énervé. Je ne comprenais pas l’animosité de la police », tente d’expliquer depuis le box des accusés un jeune homme d’apparence frêle et timide. C’est d’une voix rentrée, à la limite de l’audible qu’il répond au président du tribunal correctionnel de Grenoble, où il est jugé en comparution immédiate ce vendredi 24 juin.
Rien en lui ne laisse deviner qu’il puisse être l’auteur des faits d’outrage et des menaces qui lui sont pourtant reprochés. Une impression confirmée par la représentante du parquet dans son réquisitoire.
« On a du mal à croire que c’est la même personne que l’on voit au tribunal et celui qu’on voit sur les clichés pris par la police », s’étonne-t-elle.
Face à lui, les parties civiles – sept policiers et Patrick Mairesse, le directeur départemental de la sécurité publique. C’est à l’encontre de ce dernier que le prévenu aurait proféré – selon les termes de l’accusation – « une menace de mort sur personnes dépositaires de l’autorité publique ».
A l’origine, une opération de blocage de la Presqu’île
Tout a commencé en amont de la quatrième manifestation grenobloise de ce mois de juin contre la loi El Khomri. Le jeune homme, âgé de 27 ans et sympathisant de Nuit debout, participait dans la matinée à une action de blocage de la Presqu’île de Grenoble organisée par le collectif On bloque tout 38. Un barrage constitué de pneus enflammés, de palettes, de barrières en béton a ainsi paralysé la circulation de Voreppe jusqu’à la Presqu’île, contraignant les pouvoirs publics à faire intervenir la police pour décongestionner le secteur.
C’est au cours de cette opération de dégagement des obstacles et de dispersion de l’attroupement que le jeune homme aurait proféré des menaces, indirectes, à l’endroit de Patrick Mairesse. D’autres manifestants auraient, quant à eux, adressé force bras d’honneur et autres invectives aux policiers du corps urbain, lesquels n’ont d’ailleurs procédé à aucune interpellation sur place.
C’est donc plus tard, lors de la manifestation dans les rues de Grenoble, que le jeune sympathisant de Nuit debout sera interpellé par des policiers l’ayant reconnu dans la foule. Le seul incident notable, d’ailleurs, de cette énième marche de protestation qui a réuni 1600 personnes selon la police et plus de 5000 selon les syndicats.
Retour en images.
Reportage Joël Kermabon
Le malaise de la police
Dans le prétoire, ce sont deux univers incompatibles qui s’opposent, deux incompréhensions mutuelles. D’un côté, ceux qui – semble-t-il sincèrement – voudraient pouvoir rebattre les cartes, refaire le monde, et qui, à tort ou à raison, se sentent menacés par la police, la considérant au service d’un pouvoir honni. Le tout baignant dans le romantisme révolutionnaire et l’espoir d’un monde meilleur.
En face, des policiers plus que fatigués par la multiplicité des missions qui leur sont confiées et les insultes qu’ils doivent supporter, notamment lors des manifestations. Le tout avec de longues heures de service.
« Rien que durant cette journée du 23 juin, les policiers ont dû travailler de 8 heures jusqu’à 23 heures ! », affirme Me Jean-Michel Detroyat, l’avocat des parties civiles, se faisant ainsi l’écho du malaise des policiers. « Leurs missions deviennent de plus en plus compliquées avec l’état d’urgence à gérer, les manifestation à encadrer et, dans certaines villes de France, la sécurité des stades pour l’Euro 2016 », énumère l’homme de loi.
Patrick Mairesse, le directeur départemental de la sécurité publique, se dit très préoccupé de la tournure que prennent les choses. « Depuis plusieurs mois, nous entendons beaucoup de choses : des propos haineux, des invectives… Quant aux menaces, elles montrent bien que nous sommes passés au stade supérieur. »
Un contexte sensible
Quid du fond de l’affaire ? C’est bien de menaces d’atteinte à l’intégrité physique dont il est question. « Tu vas voir, on te retrouvera, on sait où tu habites », aurait proféré l’accusé. Qui ne nie pas, mais précise, mal à l’aise dans son box, qu’il n’a jamais dit « On sait où tu habites ». Il aurait, par ailleurs, lancé en direction des policiers : « Ce sera bientôt la guerre, on aura des armes et, là, ce ne sera plus la même chose ! »
Son de cloche différent, selon un billet publié sur le site de Nuit debout Grenoble, qui parle seulement de propos « engagés ». Pour autant, le jeune homme – bien que concédant avoir été très virulent – affirme avec force n’avoir pas voulu menacer les policiers. « Je voulais juste dire qu’un jour le peuple, lui aussi, sera armé », se défend-il avec une certaine naïveté. Et d’ajouter : « Je ne m’adressais pas à l’un des policiers présents en particulier. »
Des propos « inadmissibles et scandaleux », déclare Patrick Mairesse à la barre. Le fonctionnaire en veut pour preuve que c’est « la première fois qu’il dépose plainte en trente ans de service ».
Tout cela intervient dans un contexte plus que sensible qui a pu peser sur les débats, surtout si l’on se réfère au récent et terrible double meurtre de Magnanville. C’est, du moins, l’avis de Me Emmanuel Descombard, l’avocat du manifestant contre la loi Travail.
« Il faut rappeler aux manifestants qu’ils doivent respecter les forces de police »
La représentante du parquet, pour qui « les mots ont un sens », requiert dix-huit mois d’emprisonnement et la confiscation de l’appareil photo du prévenu. « C’est un acte délibéré, il faut lui donner une réponse immédiate. Il faut rappeler aux manifestants qu’ils doivent respecter les forces de police », expose-t-elle pour conclure son réquisitoire.
Pour Me Emmanuel Descombard, les menaces proférées avaient un caractère générique et ne s’adressaient à personne en particulier.
Quant à l’accusé, lorsque le président de la cour lui donnera la parole avant qu’elle ne se retire pour délibérer, il exprimera dans un souffle ces quelques paroles mêlées de regrets : « Je ne pensais pas que cela prendrait cette tournure. »
Le jeune homme, qui avait déjà quelques antécédents judiciaires mineurs, a finalement été condamné à huit mois d’emprisonnement, dont cinq avec sursis. Il doit, en outre, verser la somme de 3.700 euros aux parties civiles. La cour lui a fixé un rendez-vous pour le 22 juillet avec le juge d’application des peines, lequel décidera si sa peine devra être aménagée… ou pas. Il est ressorti libre.
Joël Kermabon