Intervention du public. © Joël Kermabon - Place Gre'net

La gra­tuité des trans­ports en débat : dia­logue de sourds à Grenoble

La gra­tuité des trans­ports en débat : dia­logue de sourds à Grenoble

REPORTAGE VIDÉO – Pour ou contre la gra­tuité des trans­ports en com­mun ? Tel était le thème du débat contra­dic­toire orga­nisé par Lahgglo, le 6 avril der­nier, dans les locaux de l’Institut de géo­gra­phie alpine de Grenoble. Objectifs : appro­fon­dir la ques­tion, en pré­ci­ser les enjeux et sor­tir des idées reçues.

Un peu plus d’une cen­taine de per­sonnes avaient fait le dépla­ce­ment ce mer­credi 6 avril pour assis­ter à un débat public sur la gra­tuité des trans­ports, à l’in­vi­ta­tion de Lahgglo (Les Associations des habi­tants du grand Grenoble). Dans le public, ras­sem­blé dans l’am­phi­théâtre de l’Institut de géo­gra­phie alpine, quelques jeunes et bon nombre de têtes grises. À l’en­trée, les arri­vants étaient invi­tés à rem­plir des ques­tion­naires des­ti­nés à recueillir leur opi­nion avant le débat.

Pour débu­ter la soi­rée, Lahgglo avait pré­paré une vidéo dans laquelle des pas­sants répon­daient à la ques­tion : « Que pen­sez-vous de la gra­tuité des trans­ports en com­mun ? » Puis Marc Nouvellon, vice-pré­sident de Lahgglo, en a pré­senté les enjeux avant que ne com­mence véri­ta­ble­ment le débat contra­dic­toire, à quatre voix, animé par Paul Turenne, jour­na­liste de Place Gre’net.

Résumé en images…


Reportage Joël Kermabon

« Nous avions besoin d’ap­pro­fon­dir la question »

Quelles sont les prin­ci­pales rai­sons qui incitent des élus à ins­tau­rer la gra­tuité des trans­ports ? Tout d’a­bord, la dimen­sion sociale. Il s’a­git notam­ment de don­ner à cha­cun la pos­si­bi­lité de pou­voir se dépla­cer et ce, quels que soient ses moyens finan­ciers. Vient ensuite l’é­co­lo­gie. La gra­tuité est cen­sée atti­rer les auto­mo­bi­listes afin d’at­té­nuer les nui­sances urbaines impu­tables à la voiture.

© Joël Kermabon - Place Gre'net

© Joël Kermabon – Place Gre’net

Enfin, la moti­va­tion éco­no­mique : mieux ren­ta­bi­li­ser les équi­pe­ments de trans­ports publics, amé­lio­rer l’ac­ces­si­bi­lité des centres-villes sou­vent engor­gés par la cir­cu­la­tion et ainsi réduire la part des inves­tis­se­ments routiers.

« Au sujet des dépla­ce­ments et notam­ment de la gra­tuité des trans­ports, nous étions quelques-uns au sein de Lahgglo à avoir des sen­si­bi­li­tés dif­fé­rentes […]

Nous avions besoin d’ap­pro­fon­dir la ques­tion, d’en pré­ci­ser les enjeux pour sor­tir des idées reçues », expose Marc Nouvellon. C’est la rai­son pour laquelle un groupe de tra­vail a été consti­tué et a pro­duit, cou­rant octobre 2015, un memento : « Transports en com­mun : et si on par­lait gra­tuité ? » Ce docu­ment, « qui n’a pas la pré­ten­tion de l’ex­haus­ti­vité », dixit le vice-pré­sident, pro­pose, outre un état des lieux en France et à l’é­tran­ger, d’ex­plo­rer les grands enjeux liés à la pro­blé­ma­tique de la gra­tuité des trans­ports. De là à l’i­dée d’or­ga­ni­ser un débat contra­dic­toire, il n’y avait plus qu’un pas à franchir…

Un débat équi­li­bré : deux “pour”, deux “contre”

Quatre inter­ve­nants étaient invi­tés à s’ex­pri­mer sur les moti­va­tions pré­si­dant à la mise en place de la gra­tuité des trans­ports ainsi que sur l’é­ten­due de son péri­mètre. Mais pas seule­ment. L’incidence sur la fré­quen­ta­tion ainsi que le report modal ont éga­le­ment été abor­dés. Enfin, au plan finan­cier, les débat­teurs ont tenté de répondre à cette ques­tion : la gra­tuité débouche-t-elle for­cé­ment sur un accrois­se­ment des impôts locaux ?

Au premier plan Isabelle Métral, au second plan Antoine Di Giaccio. © Joël Kermabon - Place Gre'net

Isabelle Métral (à droite) et Antoine Di Ciaccio. © Joël Kermabon – Place Gre’net

Dans le camp des “pour” : Isabelle Métral, membre du col­lec­tif Pour la gra­tuité des trans­ports publics dans l’agglomération gre­no­bloise, et Antoine Di Ciaccio, conseiller muni­ci­pal de Cuges-les-Pins, com­mune du Pays d’Aubagne et de l’Étoile. Ce der­nier était vice-pré­sident de la Communauté d’ag­glo­mé­ra­tion d’Aubagne lorsque la col­lec­ti­vité a ins­tauré la gra­tuité totale des trans­ports en com­mun en 2009.

Les “contre” étaient repré­sen­tés par Nathalie Teppe, pré­si­dente de l’Association pour le déve­lop­pe­ment des trans­ports en com­mun, voies cyclables et pié­tonnes de la région gre­no­bloise (ADTC), et Jean Sivardière, vice-pré­sident de la Fédération natio­nale des asso­cia­tions d’u­sa­gers des trans­ports (FNAUT).

« La gra­tuité induit une meilleure uti­li­sa­tion de l’argent public »

« Pour nous, la gra­tuité des trans­ports, c’é­tait liberté, éga­lité et… gra­tuité », lance Antoine Di Ciaccio, en ouver­ture de la pre­mière par­tie du débat por­tant sur la confron­ta­tion des argu­ments pour ou contre. « La gra­tuité s’est ins­tau­rée dans le cadre d’une poli­tique glo­bale des dépla­ce­ments, il n’y avait pas “que” la gra­tuité », insiste-t-il, fai­sant réfé­rence à ce qui a été ins­tauré à Aubagne. Et de citer le slo­gan de l’é­poque, invi­tant à la convi­via­lité : « La gra­tuité, c’est simple comme le bon­jour que l’on dit au chauf­feur quand on monte. » L’élu l’as­sure, la gra­tuité n’est pas « le cache-misère d’un réseau défaillant mais elle se conjugue avec la qua­lité du réseau ».

De gauche à droite : Antoine Digiaccio, Isabelle Métral, Nathalie Teppe et Jean Sivardière. © Joël Kermabon - Place Gre'net

Antoine Di Ciaccio, Isabelle Métral, Nathalie Teppe et Jean Sivardière (de gauche à droite). © Joël Kermabon – Place Gre’net

Il en veut pour preuve que les usa­gers se sont révé­lés satis­faits à 80 % du point de vue du confort, de la qua­lité et de la sécurité.

« La gra­tuité a généré de nou­veaux usa­gers, aug­menté la fré­quence et la mobilité. »

De quoi aussi se réjouir des éco­no­mies engen­drées. « Un voyage coû­tait quatre euros à la com­mu­nauté d’ag­glo­mé­ra­tion, aujourd’­hui il lui en coûte 1,90 euro. Je pense que la gra­tuité a induit une meilleure uti­li­sa­tion de l’argent public », sou­ligne l’élu. Mais son constat ne se limite pas à des consi­dé­ra­tions mesu­rables. Le conseiller muni­ci­pal évoque aussi un droit fon­da­men­tal, plé­bis­cité par les jeunes et les per­sonnes âgées : « Nous sommes très jaloux du droit de nous dépla­cer en toute liberté. C’est un droit fon­da­men­tal dans notre société », conclut-il.

La tari­fi­ca­tion sociale, une vraie solution ?

Pour Nathalie Teppe, pré­si­dente de l’ADTC, le dis­cours pour la gra­tuité est légi­time mais il est décon­necté de la réa­lité des usa­gers des trans­ports en com­mun. « Quand on les inter­roge, ils réclament un ser­vice plus rapide, plus fré­quent, de plus grandes ampli­tudes horaires, une des­serte amé­lio­rée, davan­tage de confort et de capa­cité aux heures de pointe… La tari­fi­ca­tion vient en der­nier », énonce-t-elle.

Au micro : Nathalie Teppe. © Joël Kermabon - Place Gre'net

Nathalie Teppe (au centre). © Joël Kermabon – Place Gre’net

Selon elle, les usa­gers réclament des tarifs modé­rés mais pas la gratuité.

« On n’a pas besoin de la gra­tuité pour garan­tir l’ac­cès de tous aux trans­ports. Avec la tari­fi­ca­tion sociale, telle qu’elle est pra­ti­quée à Grenoble, nous n’a­vons pas les mêmes retours qu’à Aubagne », tacle-t-elle. En effet, pour l’ADTC, la tari­fi­ca­tion sociale est une vraie solution.

Et de men­tion­ner la récente ini­tia­tive du Syndicat mixte des trans­ports en com­mun (SMTC) éta­blis­sant un sys­tème de gra­tuité durant trois mois pour les primo-arri­vants à Grenoble. Par ailleurs, Nathalie Teppe est convain­cue que la gra­tuité n’in­té­resse pas les auto­mo­bi­listes. « Les gens prennent leur voi­ture bien sou­vent parce que les trans­ports en com­mun ne sont pas per­ti­nents pour eux », déclare-t-elle. Selon la pré­si­dente, la gra­tuité est coû­teuse – il faut lui trou­ver une com­pen­sa­tion finan­cière – et elle ne garan­tit pas, à elle seule, l’aug­men­ta­tion de la fré­quen­ta­tion du réseau.

Objectif éco­lo­gique de la gra­tuité : un échec com­plet pour ses détracteurs !

C’est à par­tir d’une enquête qu’il a réa­li­sée que s’ex­prime Jean Sivardière, vice-pré­sident de la FNAUT. S’intéressant aux moti­va­tions des villes ayant adopté la gra­tuité avant de l’a­ban­don­ner dans un second temps, il fait part de ses obser­va­tions pour étayer son oppo­si­tion. « La gra­tuité n’est pas néces­saire », assène-t-il. Dans la plu­part des cas, si l’ob­jec­tif social est atteint – les plus pauvres ont accès aux trans­ports – il aurait pu l’être autre­ment. Notamment en met­tant en place une tari­fi­ca­tion sociale ou solidaire.

On ne peut pas en dire autant de l’ob­jec­tif éco­lo­gique, selon lui. « Il n’est abso­lu­ment pas atteint, c’est un échec com­plet ! La gra­tuité n’at­tire pas l’au­to­mo­bi­liste », rap­porte le vice-pré­sident, rejoi­gnant en cela l’a­vis de Nathalie Teppe. Et pour ce qui est de l’é­co­no­mie ? L’échec est éga­le­ment patent, à l’en croire : « Les centres-villes res­tent tou­jours aussi asphyxiés qu’au­pa­ra­vant et néces­sitent tou­jours plus de tra­vaux rou­tiers pour y faire face. » Ajoutez à cela le pla­fon­ne­ment de la crois­sance du tra­fic et une fré­quen­ta­tion qui stagne.

Quelles consé­quences sur le report modal ?

Quelle est l’in­ci­dence réelle ou sup­po­sée de la gra­tuité des trans­ports sur le report modal ? Peut-elle l’aug­men­ter signi­fi­ca­ti­ve­ment ? « Nous avons un exemple élo­quent à Grenoble de l’ef­fet sur le report voiture/transports en com­mun avec le CEA qui a décidé d’aug­men­ter le rem­bour­se­ment de l’abon­ne­ment Soleil de ses sala­riés à hau­teur de 85 % », explique Isabelle Métral du Collectif pour la gratuité.

© Joël Kermabon - Place Gre'net

© Joël Kermabon – Place Gre’net

Des résul­tats par­lants, rap­porte-t-elle : 1.400 reports modaux ont en effet été enregistrés.

Quant aux cyclistes ou aux pié­tons, le constat n’est pas le même. « C’est un choix déli­béré de leur part et il n’y a pas de cor­ré­la­tion évi­dente. Il en est de même pour les mar­cheurs qui ne pren­dront pas le bus au seul motif qu’il serait gra­tuit », argumente-t-elle.

Dans la même veine, Antoine Di Ciaccio estime pour sa part, non sans satis­fac­tion, que le « trans­fert modal s’est accru de 35 % », depuis la mise en place de la gra­tuité des trans­ports dans la com­mu­nauté d’ag­glo­mé­ra­tion d’Aubagne.

La gra­tuité pour qui, pour quand et pour où ?

La seconde par­tie de la soi­rée a été consa­crée aux inter­ven­tions du public, aux posi­tions le plus sou­vent très tran­chées. « Dans la gra­tuité, ce qui m’in­té­resse c’est pour qui, pour quand et pour où », lance un par­ti­ci­pant. Pour ce der­nier, peut-être serait-il mieux de mettre en place une gra­tuité pro­gres­sive, en atten­dant que le réseau soit équi­li­bré afin que tous les habi­tants de la Métropole puissent béné­fi­cier d’une solution.

Le public intervient. © Joël Kermabon - Place Gre'net

Le public inter­vient. © Joël Kermabon – Place Gre’net

Une étu­diante est quant à elle reve­nue sur le report modal en évo­quant la gra­tuité totale ins­tau­rée lors des pics de pol­lu­tion. A‑t-on enre­gis­tré un trans­fert signi­fi­ca­tif vers les trans­ports en commun ?

Jean Sivardière s’est mon­tré for­mel : « Il n’y a pas de report modal induit par la gra­tuité lors d’é­pi­sodes de pol­lu­tion. En outre, je trouve injuste qu’on offre le trans­port gra­tuit aux auto­mo­bi­listes qui pol­luent ! »

Et Nathalie Teppe de l’ADTC d’en­fon­cer le clou : « Les seuls reports mas­sifs que j’ai consta­tés, c’est lors­qu’il pleut et que les cyclistes se rabattent sur les bus ou les tram­ways. »

Le but de Lahgglo était de per­mettre à cha­cun de se faire une idée sur la ques­tion, sans inter­ve­nir dans le débat. Objectif atteint. Et si par­ti­sans et détrac­teurs ne se sont pas dépar­tis de leurs pos­tures res­pec­tives au cours de la soi­rée, peut-être ont-ils pu pour­suivre l’échange dans le tram… un billet com­posté à la main.

Joël Kermabon

Joël Kermabon

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