DÉCRYPTAGE – Une partie des habitants de la commune iséroise de Barraux est sur le pied de guerre contre la société Granulats Vicat qui y exploite une carrière de sable et de gravier à ciel ouvert. En cause, un projet d’extension du site, avec renouvellement de l’exploitation pour une durée de trente ans. Un collectif s’est même créé pour dénoncer « le massacre programmé du paysage » et alerter sur les dangers pour les riverains, alors que l’extension ne serait plus qu’à 200 mètres des premières habitations. Le point sur ce dossier sensible alors que s’achève l’enquête publique ce 26 mars.
Un vent de révolte souffle sur Barraux, petite commune de 1800 habitants du Parc naturel régional de Chartreuse, à 35 kilomètres de Grenoble. La société Granulats Vicat a demandé le renouvellement pour trente ans de l’exploitation de sa carrière située sur le plateau des Bruyères, ainsi que son extension de 18 hectares. L’exploitation passerait de 44 à 62 hectares et ne serait plus qu’à 200 mètres* des habitations du quartier de La Gâche.
« Les habitants sont ébranlés par la nouvelle », lance Alain Barthez, lui-même concerné au premier chef. Nous l’avons apprise par la publication de l’avis de l’enquête publique. » Un collectif « J’aime Barraux » s’est rapidement monté. Il réunit, affirment ses instigateurs, une quarantaine de personnes qui ont lancé un site Internet et une pétition en ligne. Sans compter une pétition papier et des affiches placardées dans le village. Objectif : empêcher que ce projet ne voit le jour en 2017.
De la poussière « dans les jardins, les maisons et les poumons »
Au niveau de la carrière, sur le plateau des Bruyères, se déploie un paysage lunaire qui n’est pas des plus réjouissants… Même si depuis le quartier de La Gâche, la carrière n’est pas visible (cf. encadré en bas de page), les incidences sont pourtant bien réelles, à en croire les riverains. « Il y a le bruit, les camions qui circulent, et la poussière qui arrive dans les jardins, s’insinue dans les maisons et dans les poumons », témoignent plusieurs membres du collectif.
« Aujourd’hui, la carrière est à 350 mètres des habitations, et on reçoit déjà beaucoup de poussière », précise Laurent Beaumont, autre membre du collectif. « C’est, à notre connaissance, la seule carrière en France qui soit aussi proche d’habitations, et qui pourrait l’être encore plus », souligne Alain Barthez. Et le collectif d’extrapoler : « La poussière sera plus abondante dans quelque temps, quand les engins de chantier évolueront à environ 200 mètres des premières habitations de La Gâche ».
« Dans le dossier de Vicat, il n’y a pas eu d’étude d’impact sur les effets de l’inhalation des poussières fines de silice sur la santé », regrette Laurent Beaumont. Granulats Vicat, conscient du désagrément occasionné par les poussières, considère déjà l’atténuer grandement en utilisant des canons à neige qui pulvérisent de l’eau pour faire retomber la poussière. Mais demain ?
Pas de risques d’éboulement pour Granulats Vicat
Les membres du collectif redoutent également des risques d’éboulement de terrain. Les versants du secteur de La Gâche sont situés sur une zone concernée par « des mouvements de terrain ». « C’est écrit noir sur blanc dans le Document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim) disponible en mairie », indique Laurent Beaumont.
Les habitants craignent que l’excavation de la carrière, pouvant atteindre jusqu’à 80 mètres, fragilise davantage les versants. « C’est un point qui n’est absolument pas abordé dans les études de Vicat », affirment plusieurs membres du collectif. Anticipant peut-être des requêtes ultérieures de la commissaire de l’enquête publique, Vicat vient d’annoncer qu’il lançait une étude géotechnique. « Je m’en réjouis mais cela arrive un peu tard. Leur projet date de 2011… », s’étonne Laurent Beaumont.
Interrogé sur ce risque d’éboulement, Alain Boisselon, directeur général de l’activité Granulats chez Vicat, n’en démord pas : « Nous avons déjà démontré par nos études qu’il n’y avait aucun risque. C’est une étude faite pour rassurer la population. »
Des déchets amiantés pour remplir la carrière ?
Autre aspect du projet qui effraie, ô combien, les habitants : le contrôle des « matériaux inertes » utilisés par Vicat pour combler les trous dans la roche. Le collectif affirme avoir lu dans un document que le contrôle opéré par Vicat était « olfactif et visuel ». Thierry Fabry, habitant et opposant à la fois au projet d’extension et au renouvellement de l’exploitation pour trente ans, suppute, pour sa part, l’utilisation possible de déchets amiantés.
Qu’est-ce qui lui fait penser au pire ? « Il est de notoriété publique que les tunneliers de l’Oisans découvrent de l’amiante naturelle dans la roche… La construction du tunnel de Gavet a été fermé dix-huit mois et rencontre toujours ce problème, d’où sa progression très lente. Notre carrière va devenir une aubaine pour enfouir les déchets occasionnés par le creusement du Lyon-Turin. »
Les habitants de Barraux opposés à la carrière verraient-ils donc tout en noir ? Le moins que l’on puisse dire est qu’ils s’efforcent de balayer toutes les hypothèses qui, du reste, ne sont pas si saugrenues. Vicat gagnerait à faire toute la transparence sur les méthodes d’examen des « matériaux inertes » amenés à combler sa carrière. D’autant plus que la triple certification de l’entreprise, dont se targue Alain Boisselon, ne paraît pas dissiper la méfiance des habitants…
« La carrière est là depuis cinquante ans ! »
Alain Boisselon, directeur général de l’activité Granulats chez Vicat, livre le fond de sa pensée : « On a affaire à des réactions épidermiques d’habitants relativement nouveaux [ce que démentent les personnes du collectif, ndlr]. On est face à un phénomène de peur locale. Nous sommes pourtant transparents. Nous organisons des portes ouvertes, faisons visiter la carrière aux scolaires et avons même planté des puits de biodiversité. »
Pour lui, le dossier du projet d’extension de 250 pages, constitué d’études validées par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dréal) est blindé sur tous les aspects : biodiversité, hydrogéologie, qualité des réaménagements prévus. Le préfet de Région a par ailleurs donné son accord à l’extension et au renouvellement de la carrière, le 8 janvier dernier.
« Les intérêts privés sont forts dans cette histoire. Certains ont peur que leur maison soit dévalorisée. Il n’y a aucun risque, affirme le directeur général de Granulats Vicat. Ils l’ont achetée il y a cinq ans, et la carrière est là depuis cinquante ans ! »
Alain Barthez, l’un des porte-paroles du collectif, ne l’entend pas de cette oreille : « Oui mais il y a cinquante ans, la carrière était toute petite. Là, elle prend des proportions énormes. Si on laisse faire, on condamne un lieu de promenade relativement plat et intergénérationnel… »
Le directeur de Vicat rappelle que les carrières sont une ressource indispensable à l’activité humaine. « Pour construire, on a besoin de granulats, mais autant qu’ils soient issus de l’endroit le plus proche possible de leur destination. Cela épargne de nombreux transports en camion, donc de la pollution. Il faut construire les territoires avec les matériaux du territoire. » L’idée tombe sous le sens, sauf que dans le cas présent, des habitants très fâchés résident à proximité du territoire “ressource”.
Une « mini-révolution » incompréhensible pour le maire
De son côté, le maire de Barraux, Christophe Engrand (LR), s’étonne de “cette mini-révolution”. « Bien sûr, je comprends que les gens se posent des questions… mais pourquoi maintenant ? », interroge-t-il.
En 2011, des réunions de concertation se sont tenues sur ce projet. Le bulletin de juillet 2011 y consacre un dossier. En effet, nous avons voulu intégrer ce projet dans le PLU, afin de le discuter largement à tout niveau, avec de nombreux partenaires, pour le travailler avec Vicat, en toute connaissance de cause… Nous savons exactement comment le projet va être conduit, la place rendue à l’agriculture, etc. Quatre-vingts personnes étaient présentes lors d’une réunion de présentation », tient-il à rappeler.
À cette époque, aucune voix ne s’était élevée… Alors qu’aujourd’hui les opposants semblent comme atteints d’amnésie. « 95 % de la population a découvert le projet d’extension récemment », affirme Alain Barthez. « Dans tous les cas, nous n’avons jamais vu la carte de l’extension », rétorque Laurent Beaumont. « Nous avons eu des présentations du projet en 3D ! », s’indigne le maire. Dix pages lui sont consacrées dans le PLU. » Manifestement, personne ne consulte le Plan local d’urbanisme…
Et si la carrière fermait…
Devant l’ampleur de la contestation (746 signatures en ligne, le 26 mars, et plus de 400 signatures pour la pétition papier), Liliane Pesquet-Urvoas, la commissaire-enquêtrice, a jugé bon de reculer l’échéance de l’enquête publique jusqu’à ce dimanche 26 mars.
Elle devrait remettre ses conclusions, au mieux, fin avril. Elle aura alors trois possibilités : émettre un avis “favorable”, “favorable avec condition(s)” ou “défavorable”. En dernier lieu, il reviendra au préfet de l’Isère, l’autorité compétente, de rendre sa décision. Reste à savoir dans quelle mesure les arguments économiques pourraient peser dans la balance… La fermeture de la carrière équivaudrait à la suppression de 23 emplois directs et six fois plus d’emplois induits, ainsi qu’à la perte pour la commune de Barraux de 200.000 à 250.000 euros de revenus versés par Vicat chaque année…
Séverine Cattiaux
* Il est important de noter que les habitations du quartier de La Gâche – directement concernées par l’extension de la carrière – ne se situent pas dans le prolongement de cette dernière, mais en contrebas. Autrement dit, la carrière située sur le plateau des Bruyères surplombe le hameau de La Gâche, qui est, lui, dans la vallée.