REPORTAGE – Une trentaine de salariés de STMicroelectronics Crolles et Grenoble se sont rassemblés à l’appel du syndicat CGT, ce mardi 29 septembre, devant la préfecture de l’Isère. Le syndicat remobilisait ses troupes juste avant l’échéance de l’annonce, courant octobre, des résultats financiers du groupe pour le troisième trimestre. En filigrane, la crainte de l’annonce d’un plan social d’envergure.
Ils étaient une petite trentaine, ce mardi 29 septembre, à manifester devant la préfecture de l’Isère pour faire entendre leur voix et leurs inquiétudes quant à l’avenir de STMicroelectronics, mais aussi face aux menaces pesant « sur toute la micro-électronique en France ».
Au centre des revendications, l’absence de suppressions d’emplois, la fin de « la stratégie boutiquière et financière » et un « vrai redémarrage » de ST, géant du secteur très présent en Isère avec les sites de Grenoble et de Crolles. A l’origine de l’inquiétude des salariés, une note interne émanant d’un cadre évoquant des options de licenciement.
Celle-ci aurait “fuité” début juin, alimentant encore les craintes de restructuration parmi les salariés du leader franco-italien des équipements électroniques. « On ne sait d’ailleurs pas trop si c’est une fuite volontaire ou pas », nous confie, un tantinet sceptique, Dominique Savignon, secrétaire CGT – syndicat majoritaire – du comité d’entreprise. Une fuite que le cadre en question a bien tenté de colmater en assurant qu’il s’agissait d’un « mémo interne », non validé par la direction. Mais il n’en fallait pas plus pour réveiller les inquiétudes des salariés… et alerter les médias.
« Toutes les options sont sur la table »
Ladite note faisait état de plusieurs plans de licenciement. L’un impliquant 300 suppressions de postes, un autre de 800 à 900, et un dernier 1.500 emplois sur les 1.800 que compte l’ensemble de la branche digitale de STMicroelectronics. « Sur ces 1.800 personnes concernées, 900 sont à Grenoble et une centaine sur Crolles. D’autres sites, en France et à l’étranger, sont également concernés, notamment ceux du Mans et de Caen », résume la syndicaliste.
Une déclaration de Carlo Bozotti, le PDG du groupe, avait déjà mis le feu aux poudres, le 12 mai 2015. S’exprimant sur le sujet de la branche numérique – la division DPG (Digital Products Group) –, ce dernier jugeait « intenables » les pertes du secteur et déclarait que « toutes les options étaient sur la table ».
Entendez, au pire une fermeture de la division, au mieux sa cession, ou encore l’appel à la sous-traitance. Dans tous les cas, de quoi faire monter la tension en laissant planer l’éventualité imminente d’un plan social au sein de la division.
Pourquoi une telle situation ? La CGT l’explique comme étant « la conséquence d’une logique strictement financière, axée sur la réduction des coûts et la distribution des dividendes ». Le syndicat dénonce, de surcroît, l’absence de prise de risques et le manque d’investissements d’avenir, auxquels s’ajoute « le rabougrissement » des salaires et des conditions de travail.
Deux réunions avec le cabinet d’Emmanuel Macron
Depuis, l’intersyndicale n’est pas restée les mains dans les poches et a demandé à l’État-actionnaire de prendre position. Rappelons en effet que l’État français et l’État italien sont deux des actionnaires de référence du groupe et détiennent ensemble 27,5 % du capital de STMicroelectronics.
Après avoir présenté à Bercy une synthèse de l’état des lieux et des pistes à explorer pour appliquer des solutions alternatives, deux rencontres ont été organisées.
« Nous avons rencontré le cabinet de M. Macron à deux reprises, en juillet et en septembre. La position du gouvernement est que STMicroelectronics ne peut pas annoncer de plan de licenciement avant d’avoir présenté, préalablement à toute restructuration, un vrai plan stratégique offensif », relate Dominique Savignon.
Pour autant, la CGT avoue avoir du mal à y voir clair dans le jeu du gouvernement et croit discerner certains signes posant question. « Lors de la rencontre avec le cabinet de Emmanuel Macron, nous savons qu’était présente la personne qui suit tout ce qui est plans sociaux. Nous nous sommes dit que ce n’était pas très bon signe… », s’inquiète la syndicaliste.
Silence radio côté direction
Du côté de la direction de STMicroelectronics, c’est toujours le silence radio*. « Nous n’avons aucune information, déplore Dominique Savignon. La direction se cantonne à nier l’existence d’un plan social ». Et de préciser : « Ceux qui décident vraiment ne sont pas sur Grenoble. Au niveau stratégique, c’est à Genève que tout se joue et au niveau des ressources humaines France, à Aix-en-Provence. Je pense que même la direction de Grenoble n’est pas au courant de grand chose ».
Pour la représentante syndicale, hormis ces rencontres avec les pouvoirs publics, il n’y a rien de bien nouveau. « Le récent buzz médiatique n’a fait que reprendre des éléments qui sont connus de tous depuis les mois de mai et de juin », note-t-elle. « Si tout ça ressort maintenant, c’est que des gens y ont intérêt. On ne sait pas c’est si ça vient du gouvernement, de certains syndicats… Mais plus on parle de ST, moins les choses pourront se faire en catimini. En tout cas, si un truc se passe à STMicroelectronics, il est certain que c’est Grenoble qui va ramasser ! »
D’autres actions envisagées
L’annonce des résultats du groupe pour le troisième trimestre aura lieu courant octobre. Une échéance importante, selon le syndicat CGT. « Cela risque de précipiter certaines décisions, d’où l’intérêt de se remobiliser aujourd’hui », prédit Dominique Savignon. Une mobilisation qui s’est concrétisée, en fin de rassemblement, par la remise d’une motion au préfet de l’Isère, « afin d’obtenir un rendez-vous pour échanger avec lui sur cette situation très préoccupante ».
Un nouveau rendez-vous avec le cabinet d’Emmanuel Macron est prévu ce mois-ci. Et la CGT envisage d’autres mobilisations, notamment le 15 octobre, sur tous les sites concernés, y compris sur celui du Mans où elle n’est pas représentée.
On peut d’ailleurs s’étonner de la seule présence de ce syndicat sur le théâtre des diverses actions entreprises. Laquelle s’expliquerait par une certaine « frilosité » des autres organisations – entendez la CFE-CGC (encadrement et cadres) – selon le syndicat majoritaire.
« Nous reconnaissons néanmoins qu’ils “poussent” le dossier, tempère Dominique Savignon. Ils sont intervenus lors des rencontres à Bercy, ont pris des contacts avec les administrateurs de STMicroelectronics, sont intervenus pour qu’il soit question de ST lors d’une rencontre entre Valls et Hollande… Ils font des choses mais pas avec les salariés, ils sont plus dans la communication », regrette-t-elle.
Les subventions à la microélectronique en question
Si l’intersyndicale a interpellé les pouvoirs publics sur leur responsabilité c’est aussi pour les interroger sur un éventuel manquement de STMicroelectronics aux missions qui lui ont été fixées et qui remettrait, dès lors, en question les subventions publiques perçues.
Une démarche soutenue par Pierre Mériaux. Le conseiller régional à l’emploi et à l’économie Europe écologie les Verts (EELV) était sur place avec d’autres élus ou représentants de partis pour apporter leur soutien aux salariés. « Nous avons été les seuls avec le Parti de gauche à voter contre la subvention de 25 millions d’euros que le Conseil régional a attribuée à l’industrie microélectronique grenobloise à travers Nano 2017 », souligne le conseiller régional.
Selon lui, le bénéficiaire indirect de cette subvention est clairement STMicroelectronics. « ST demande des subventions publiques, tout en distribuant des dividendes à ses actionnaires, même quand le groupe perd de l’argent, et sans préserver l’emploi puisque qu’un plan social serait en préparation », fustige l’élu.
« Si l’on additionne tous les étages – Union européenne, État, collectivités locales… –, l’industrie de l’électronique dans Nano 2017 perçoit plus de 1,1 milliard d’euros de subventions publiques pour zéro contrepartie en matière d’emplois. C’est inacceptable pour nous ! ».
L’élu en est convaincu, l’argent public ne doit aller au soutien à l’économie que dans la mesure où il est conditionné à des résultats réels, tangibles et vérifiables. « Tant que ce n’est pas comme ça, il faut refuser le chantage à l’emploi », conclut Pierre Meriaux.
Joël Kermabon
* Contactés à plusieurs reprises, les responsables de STMicroelectronics n’ont pas donné suite à nos demandes d’interviews.
Subventions publiques de ST : « Nous voulons y voir clair »
« Notre crainte c’est que les subventions publiques versées à STMicroelectronics partent directement dans la poche des actionnaires sans servir à financer la recherche et l’innovation ». C’est ainsi que Pierre Mériaux justifie une demande d’audition par la commission de Suivi et d’évaluation (Sueval) de la région. Il nous explique l’objectif de cette démarche.
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