Zombie walk de Grenoble juin 2015 © Véronique Magnin

Marche des zom­bies : Grenoble of the dead

Marche des zom­bies : Grenoble of the dead

FOCUS – Vous les avez peut-être croi­sés ou enten­dus : des cris épars et par­fois une cla­meur sinistre s’é­le­vant par-des­sus les toits. Ils étaient là, en nombre, à la fois horde et trou­peau, cou­ra­geu­se­ment – mais briè­ve­ment – conte­nus par quelques sur­vi­vants moti­vés. De quoi s’a­gis­sait-il ? Du « truc de zom­bie », pour citer une pas­sante, et plus pré­ci­sé­ment de la Zombie Walk, la Marche des zom­bies de Grenoble.

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Regards de zom­bies. © Véronique Magnin – pla​ce​gre​net​.fr

« C’est pour le fun, comme un car­na­val. On fait une Zombie Walk comme d’autres feraient un défilé pour le steam­punk [rétro­fu­tu­risme, ndlr] ou la SF [science fic­tion, ndlr]. Aucune mani­fes­ta­tion poli­tique der­rière : on s’a­muse juste ! », nous dit Vava, orga­ni­sa­trice de la Marche des zombies.

Mais pour­quoi le zom­bie plu­tôt que les poneys ou les Bisounours ? « C’est avant tout quelque chose de popu­laire et qui réunit. C’est l’oc­ca­sion de défi­ler tous ensemble, de se décom­plexer vis-à-vis du maquillage… Bref, c’est vrai­ment pour s’a­mu­ser sans qu’il n’y ait aucune culture du mor­bide der­rière. »

S’amuser, c’est bien le maître mot, celui qui revient natu­rel­le­ment dans la bouche de toutes les per­sonnes que nous croi­sons ce samedi. Le matin d’a­bord, à l’Atelier du 8, où les plus moti­vés s’é­taient ins­crits pour béné­fi­cier d’une séance de « reloo­king » zom­bie réa­lisé par les maquilleuses pro­fes­sion­nelles de Plast’o’Morphoses. L’après-midi, ensuite, place Victor Hugo, où morts-vivants comme sur­vi­vants étaient invi­tés à se retrou­ver avant que la marche ne commence.

Avis aux amat(u)eurs

Si cer­tains par­ti­ci­pants se reven­diquent clai­re­ment fana­tiques du mythe du mort-vivant, d’autres sont avant tout là pour le dégui­se­ment… et le défou­loir. Quand Jordan explique sans ambages qu’il a « une âme de zom­bie », Noémie l’é­tu­diante en Prépa pré­cise qu’elle est juste venue « s’a­mu­ser avec ses potes », après une longue année universitaire.

Ses potes, c’est-à-dire quatre étu­diantes toutes plus jolies – et au final plus affreuses – les unes que les autres, qui s’a­musent d’a­vance du regard des gens dans la rue. La Zombie Walk sera-t-elle le remède ultime contre le har­cè­le­ment de rue ?

Réalisation Véronique Magnin.

Tous d’ac­cord pour s’a­mu­ser, mais quand il s’a­git de savoir pour­quoi les morts reviennent à la vie dans les rues de Grenoble, les théo­ries des mar­cheurs et des mar­cheuses sont diverses. Virus fabri­qué par l’homme, mala­die trans­mise par les pigeons, apo­ca­lypse divine, monstres reve­nus à la vie à la faveur des crues de l’Isère, et même… François Hollande. « S’il se repré­sente en 2017, les zom­bies vont arri­ver, c’est sûr ! », pré­dit un jeune homme. Celle-ci, même « Valeurs actuelles » n’au­rait pas osé la faire.

Un mythe contemporain

Mais quelle est au fond la dimen­sion méta­pho­rique et poli­tique du zom­bie ? Voilà presque cin­quante ans que celui-ci peuple l’i­ma­gi­naire col­lec­tif et appa­raît régu­liè­re­ment dans le cinéma, la lit­té­ra­ture, la bande des­si­née ou les jeux vidéos. Mais c’est bel et bien dans les années 2000 que le mort-vivant anthro­po­phage a pris place dans les cœurs du grand public, à tra­vers le suc­cès d’un Shaun of the Dead ou du comic amé­ri­cain The Walking Dead, dont l’a­dap­ta­tion en série est l’un des plus grands suc­cès de la télé­vi­sion américaine.

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Les maquilleuses de Plast’o’Morphoses n’ont pas échappé à l’a­po­ca­lypse. © Véronique Magnin – pla​ce​gre​net​.fr

Il est pour­tant né presque par acci­dent. En 1968, George A. Romero réa­lise avec un bud­get plus que limité La Nuit des morts vivants, dans lequel appa­raissent pour la pre­mière fois ces cadavres ambu­lants man­geurs de chair humaine qui ne sont d’ailleurs, à aucun moment, dési­gnés sous le vocable de « zom­bies ».

C’est leur allure dés­in­car­née et leur per­son­na­lité pour le moins effa­cée qui amè­nera le public à les dési­gner par ce nom emprunté à la culture vau­dou. Il fau­dra cepen­dant attendre 1979 et L’Enfer des zom­bies de Lucio Fulci pour qu’un scé­na­riste ambi­tieux tente d’i­ma­gi­ner un lien effec­tif entre le zom­bie « rome­rien » et le zom­bie haï­tien. Avec plus ou moins de bon­heur, d’ailleurs.

Politic fic­tion

Avatar contem­po­rain du vam­pire – n’ou­blions pas que Dracula est lui aussi un mort-vivant – le zom­bie tire sa force de son nombre. Seul, sa len­teur et sa stu­pi­dité font de lui une menace modé­rée. En groupe, en horde ou en masse, il devient le pire pré­da­teur que l’hu­ma­nité ait jamais affronté, fai­sant som­brer le monde dans un chaos où seuls les plus forts, hélas rare­ment les plus intel­li­gents, survivent.

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La horde. Véronique Magnin – pla​ce​gre​net​.fr

Cette notion du nombre conduit évi­dem­ment à de nom­breuses théo­ries sur le sens même de ce mythe moderne. Et cela d’au­tant plus que Romero ne cache jamais dans ses films ses sym­pa­thies gau­chi­santes, sinon anar­chistes, moquant et dénon­çant la société de consom­ma­tion (Dawn of the Dead), l’emprise du lobby mili­taire (Day of the Dead), l’ex­ploi­ta­tion capi­ta­liste (Land of the Dead), la dic­ta­ture de l’i­mage (Diary of the Dead) ou l’es­prit de clo­cher (Survival of the Dead).

Le zom­bie sym­bo­lise-t-il les classes popu­laires oppri­mées par une caste éli­tiste, qui le craint d’au­tant plus qu’il lui doit son pou­voir ? Ou est-il au 11 sep­tembre ce que le Martien était à la guerre froide, autre­ment dit la méta­phore d’un Occident para­noïaque se sen­tant menacé par une horde de bar­bares plus ou moins ter­ro­ristes ? C’est ce que semble pen­ser Max Brooks lors­qu’il écrit son célèbre, et inclas­sable, Guide de sur­vie en ter­ri­toire zom­bie.

Sirènes en putré­fac­tion sous escorte policière

Pour cette qua­trième édi­tion gre­no­bloise de la Zombie Walk aura été retenu le thème des « Sept mers ». L’occasion d’ob­ser­ver parmi la foule un cer­tain nombre de pirates cada­vé­riques, quelques sirènes en putré­fac­tion et de bien étranges méduses humaines. Mais les zom­bies clas­siques n’au­ront pas été oubliés pour autant. Peaux pâles sinon vertes, plaies ouvertes san­gui­no­lentes, moi­gnons dis­gra­cieux et mor­ceaux épars de corps humains étaient de sor­tie. Ainsi, bien sûr, que la tra­di­tion­nelle mariée.

Zombie des Caraïbes. DR

Zombie des Caraïbes. © Véronique Magnin – pla​ce​gre​net​.fr

Sous les yeux amu­sés ou cir­cons­pects des pas­sants, le cor­tège de zom­bies a su don­ner de la voix et n’a pas man­qué de se faire remar­quer. Les par­ti­ci­pants étaient pour­tant bien moins nom­breux qu’es­comp­tés, si l’on en juge par la seule page Facebook de l’é­vé­ne­ment, rejointe ini­tia­le­ment par plus de six cents internautes.

L’attentat de Saint-Quentin Fallavier n’y est pas pour rien, nous explique un orga­ni­sa­teur. Mais en plein plan Vigipirate ren­forcé, la marche aura tout de même eu lieu, dans la même atmo­sphère fes­tive et bon enfant que les années pré­cé­dentes, soli­de­ment enca­drée par une équipe conscien­cieuse et béné­fi­ciant, comme chaque année, de l’es­corte de la police muni­ci­pale. Car après tout, face à la bar­ba­rie, mieux vaut encore jouer au zom­bie que faire le mort.

Florent Mathieu

Florent Mathieu

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