REPORTAGE – Ce samedi 23 mai, dans le monde entier, des voix se sont élevées durant la Marche mondiale contre Monsanto. Grenoble n’a pas été en reste puisque quelque 800 personnes ont répondu à l’appel de deux maraîchères en agriculture biologique. Plus largement, les slogans exprimaient une remise en question de l’hégémonie des multinationales du secteur, la défense des producteurs locaux et de la santé de tous. Retour sur une marche voulue festive et éducative.
14 heures. Pas encore arrivées sur la place de la gare de Grenoble, les personnes venues participer à la Marche mondiale contre Monsanto entendent résonner au loin le son des tambours de la troupe Batuka VI. Pas de doute, c’est là-bas que ça se passe.
Le rendez-vous a été relayé essentiellement via les réseaux sociaux et les contacts professionnels des organisatrices : deux maraîchères en agriculture biologique.
Déjà, des familles avec leurs enfants, des jeunes et des moins jeunes sont prêts à suivre le tracteur qui ouvre la marche. Celui-ci brandit une bannière sans équivoque comportant différents messages : « Pour une agriculture paysanne » « Non aux OGM » et « Marche contre Monsanto ». Le ton est donné.
Parmi les manifestants, Jean-Yves Peillard, ancien technicien de maintenance dans les infrastructures du bâtiment. Son béret affiche « faucheurs volontaires d’OGM ». Il confie que son père, agriculteur qui utilisait beaucoup de produits phytosanitaires, est décédé à 55 ans d’un cancer de l’intestin.
Lucide, il sait toutefois qu’il est très difficile de prouver le lien entre sa maladie et cette exposition chronique à des produits chimiques dans un cadre professionnel.
Investi dans plusieurs associations, il vitupère contre la Commission européenne, placée, selon lui, sous le joug des industries et des banques. A la question “que faire en dehors de cette marche ?”, il répond tout de go : « Le boycott ! Boycotter les entreprises qui vendent des OGM et qui sont pour le brevetage du vivant ».
Légèrement sarcastique, Jean-Yves Peillard oppose la “théorie de la crétinisation” à celle de la “prise de conscience” et assure : « Tant qu’il y aura des hommes, des femmes et des abeilles, on continuera la résistance ».
« Non à la dictature des multinationales ! »
En avant ! 800 personnes se mettent en marche derrière le tracteur, l’étendard au bout de son bras mécanique levé. Le cortège remonte dans la bonne humeur l’avenue Félix Viallet pour rejoindre le boulevard Gambetta.
« Stop au Tafta ! », « Non à la dictature des multinationales ! », « OGM j’en veux pas ! », « Stop aux cancers dans les assiettes ! ». L’étendue des revendications se lit sur les slogans, qui vont bien au-delà du mot d’ordre principal du collectif mondial : « Marcher ensemble contre le projet d’agriculture intensive génétiquement modifiée et dépendante des pesticides que symbolise Monsanto ».
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Certains brandissent des affiches aux messages plus provocateurs, comme Simon Bureau, artiste peintre venu de Lyon pour le festival Magic Bus : « BIO = OGM… Mon cul ! ». Au moins, c’est clair. Ce que signifie pour lui le fait de venir marcher ? « Cela montre que les gens s’engagent à avoir une vie plus saine et meilleure. »
Et de relever, à son tour, l’importance d’être tous les jours attentif à sa consommation. Pour lui, la marche de samedi est un appel aux citoyens. « J’espère qu’un jour on sera assez pour renverser les choses et qu’elles puissent vraiment changer ».
Après avoir traversé successivement la place Victor Hugo et la place Félix Poulat, le cortège se dirige vers la place Verdun. Toujours au son des tambours qui ne baissent pas en énergie.
Des semences rendues stériles
Au cœur de la manifestation, beaucoup d’enfants. Des tout-petits, dans des landaus ou sur les épaules de leurs parents, aux plus grands avec des idées bien affirmées. C’est le cas de Lucien, 11 ans. Ses parents gèrent depuis dix ans la boutique pour enfants 100 % bio Mon petit Oko. Ils militent depuis longtemps contre les OGM et pour la protection de la santé des paysans « qui prennent des pesticides dans la figure au tout début de la chaîne », précise la maman de Lucien. « Il est à bonne école », s’amuse-t-elle.
Lucien incarne la théorie de la prise de conscience de Jean-Yves : « J’ai regardé un reportage sur une femme indienne [Vandana Shiva, ndlr]. Là-bas, la plupart des fermiers sont assez pauvres. Monsanto leur a vendu des graines en leur faisant croire qu’ils auront plus de rendement dans la culture de coton. Sauf que c’est une vraie arnaque et beaucoup d’Indiens se sont suicidés depuis ça. »
En effet, entrer dans le système Monsanto signifie devoir racheter, chaque année, des semences devenues stériles car génétiquement modifiées. Un système pervers qui rend les agriculteurs dépendants de la firme nord-américaine. En venant marcher auprès de sa mère, Lucien a un espoir : « que Monsanto arrête de vendre ses graines OGM hybrides »… Voilà en tout cas une graine bien fertile de militant en herbe.
Vous êtes consommateurs, vous avez du pouvoir !
Après deux heures de marche, voilà les manifestants arrivés au pied de la tour Perret, marquant la fin de la manifestation. Avant que les participants ne se dispersent, Nadège Azarias, co-organisatrice de l’évènement et maraîchère en agriculture biologique à Montbonnot-Saint-Martin, prend la parole.
Elle tient notamment à rappeler que la marche était totalement apolitique. Précision nécessaire puisque plusieurs partis politiques se sont joints ostensiblement à l’événement. Elle encourage également tout le monde à faire jouer son pouvoir de consommateur.
« Nous sommes vraiment contents de la mobilisation des gens aujourd’hui mais nous espérons aussi que ceux qui nous ont vu passer ont compris pourquoi nous manifestions », confiera-t-elle plus tard en aparté. « Parce que l’objectif était aussi de sensibiliser ce public qui n’est pas averti et lui faire comprendre que Monsanto est dans sa vie de tous les jours. »
Et celle-ci de prendre pour exemple l’absence d’étiquetage indiquant l’origine du soja qui nourrit les animaux d’élevage. Dans ces conditions, rien n’indique qu’il s’agit de soja sud-américain OGM.
« Au niveau politique, c’est compliqué. Il y a les lobbies, les pressions, les quotas etc. Donc, c’est nous, les consommateurs, en choisissant notre mode de consommation, qui pouvons faire bouger les choses », assure Nadège Azarias. Car il ne suffit pas de marcher…
Delphine Chappaz
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