BLOG LITTÉRAIRE – Invité récemment à la librairie La Dérive, Jean-Luc Seigle présentait son dernier roman, paru aux éditions Flammarion. Je vous écris dans le noir est inspiré de la vie de Pauline Dubuisson, condamnée en 1953 pour le meurtre de son ex-fiancé. Derrière la figure d’une criminelle qui n’a guère intéressé les féministes, l’écrivain traque à nouveau la violence faite aux femmes et la noirceur des relations familiales.
Si l’on connaît (ou croit connaître) Pauline Dubuisson, c’est sans doute essentiellement à travers le film La Vérité de Clouzot. Brigitte Bardot y incarnait cette femme meurtrière – elle tue son ex-amant – et l’on sait que le tournage du film ne fut pas de tout repos pour l’actrice.
Je retrouve en fouinant une interview du cinéaste, dans les années 70, où celui-ci déclarait que Bardot avait été « un instrument prodigieux ». Je sais pourquoi l’expression me heurte, elle rejoint ce que Seigle affirme sans ménagement au début de son livre. Par misogynie, Clouzot est passé, selon lui, à côté de l’histoire vraie de Pauline Duboisson, réalisant un film “sans profondeur”. Il a fait sonner un instrument, mais la partition était faible. Autant dire que le roman est aux antipodes de ce ratage.
Ravauder une vie décousue
Clouzot a “tué” Pauline : il fait mourir son personnage par anticipation, alors que la vraie Pauline est encore vivante, purgeant sa peine pour meurtre à la Petite Roquette. C’est d’ailleurs en découvrant le film à sa sortie de prison – graciée par de Gaulle – qu’elle décide de s’exiler au Maroc, où elle met fin à ses jours en 1963. Jean-Luc Seigle, d’une certaine manière, fait revivre et réhabilite Pauline Dubuisson, même si, l’autre soir, il a écarté ce terme, trop juridique sans doute.
Plus poétiquement, il a voulu ravauder la vie décousue d’une femme jugée seulement criminelle, alors qu’elle est d’abord victime de la violence des hommes, condamnée à mort à plusieurs reprises. Partant de trois cahiers disparus, où Pauline a laissé avant son suicide un témoignage à jamais indéchiffrable, il a composé à la première personne une sorte de “tombeau” littéraire. Un tombeau non pas de marbre, mais fait d’un tissu sensible, un linceul aux fibres incroyablement profondes et fraternelles.
Pauline Dubuisson : une femme sacrifiée
Jean-Luc Seigle n’en finit pas de redire ce que la guerre fait aux femmes et aux hommes. La figure de son « grand-père éternel » – à qui son précédent roman est dédié, ainsi qu’à sa grand-mère – est là pour rappeler combien 14 – 18 fut ce traumatisme où l’héroïsme côtoyait l’horreur. Les souffrances de la grande guerre planent à jamais sur les êtres.
Dans Je vous écris dans le noir, elles prennent la forme d’une obsession de la nourriture, qui est le nœud profond d’une histoire de famille et de sacrifice. La mère de Pauline y est en effet hantée par les récits de l’occupation de Lille par les Allemands durant la première guerre mondiale. Pour la garder dans sa cuisine, pour qu’elle survive dans la confection de bons petits plats, le père de Pauline jette sa fille dans les bras d’un médecin de la Wehmacht qui a accès aux stocks de vivres : fille contre nourriture.
La répétition du rejet
Le nœud du drame est là, dans ce sacrifice tragique, et l’enchaînement est terrible : condamnée à mort à la Libération par de tardifs résistants, tondue puis violée par les mêmes, Pauline ne doit sa survie qu’à l’apparition en héros de la der des der d’un père (sans doute) torturé par le remord. Ces scènes du roman sont éprouvantes, l’auteur faisant descendre au lecteur tous les degrés qui mènent au plus profond de l’ignominie.
Plus tard, condamnée à nouveau pour sa « faute » et rejetée par son amant, Pauline fait feu sur lui. Au Maroc, où la jeune femme devenue médecin pense avoir trouvé l’espérance, la répétition de l’échec clôt une histoire marquée par les violences faites à une femme.
Jean-Luc Seigle fait la lumière
Par la voix de Pauline, une voix en spirale qui revient sur les faits pour en comprendre les vérités longtemps tues, Jean-Luc Seigle livre toutefois un texte qui libère une lumière rugueuse. C’est une lumière de vérité – certes mensongère puisqu’il s’agit d’un roman. Elle finit par filtrer, avec ténacité à travers l’épais voile de ténèbres : celui que des hommes – juges, journalistes, biographes, cinéaste – avaient jeté sur la vie d’une certaine Pauline Dubuisson.
Danielle Maurel